

Malgré l'arrivée au pouvoir de Joe Biden, l'ouverture des hostilités entre les deux puissances rivales pour l'exercice du leadership mondial pourrait être plus proche qu'on ne l'imagine. Et la décennie à venir risque d'être celle de tous les dangers.
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La Chine, puissance ascendante, a aussi ses fragilités
Les Chinois n’aiment pas les partenaires fantasques. Contrairement à Moscou, Pékin souhaitait la victoire de Joe Biden, réputé moins imprévisible que le président sortant. Mais la compétition entre les Etats-Unis et la Chine est inscrite dans la logique même de l’histoire. Celle qui veut que, traditionnellement, la puissance dominante d’une époque finisse par entrer en conflit ouvert avec celle qui aspire à lui dérober le leadership.
La diplomatie de Joe Biden sera probablement différente, notamment en ce qui concerne les alliés de l’Amérique. Mais vis-à-vis de la Chine, il n’y a que peu d’inflexions à attendre. D’autant qu’on ne sait toujours pas si le Sénat, qui joue un rôle déterminant dans la politique étrangère américaine, restera dominé par les Républicains, ou si Joe Biden y disposera d’une majorité.
Mais il vaut la peine de lire l’article que Michael Beckley et Hal Brands viennent de mettre en ligne sur le site de la revue Foreign Affairs. Ces deux spécialistes américains estiment que cette décennie sera celle de tous les dangers. Le risque d’affrontement entre les Etats-Unis et la Chine va, en effet, devenir très élevé, estiment-ils. A l’heure actuelle, c’est la Chine qui mène. Son PIB en parité de pouvoir d’achat est le plus élevé. Elle dispose de surplus commerciaux impressionnants, de davantage de missiles conventionnels…
Mais à long terme, elle présente des fragilités qui risquent de lui faire perdre la supériorité qu’elle était sur le point d’acquérir.
Sa population vieillit. Au cours des trente prochaines années, elle va perdre 200 millions de personnes en âge de travailler et elle va devoir verser des pensions de retraite à 300 millions d’autres. Sa productivité, déjà stagnante, va en souffrir.
Ses dettes ont atteint un niveau estimé à 335 % de son PIB. La direction communiste du pays n’a pas tort de redouter des troubles sociaux. Bien des membres de l’élite des affaires ont placé une partie de leur fortune à l’étranger.
En outre, l’expansion chinoise en mer de Chine du Sud inquiète beaucoup ses voisins. Les relations avec l’Inde sont à nouveau tendues. Le Japon a déployé des lanceurs de missiles anti-navires à Okinawa, à proximité de Taïwan.
Et le temps de la supériorité chinoise pourrait être compté
L’histoire enseigne, poursuivent les auteurs, que :
Les plus désespérées des courses folles sont venues de puissances qui, quoiqu’en situation ascendante, s’inquiétaient de ce que le temps leur était compté.
Ainsi, à la veille de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne était la première puissance d’Europe. Mais elle voyait avec inquiétude la Russie, alliée de la France, développer rapidement sa puissance militaire. C’est pourquoi les dirigeants allemands ont avancé résolument vers la guerre. Idem du Japon en 1941, dont les chances de dominer l’Asie-Pacifique étaient sur le point de s’évanouir, lorsqu’il a déclenché la guerre avec les Etats-Unis.
Les dirigeants chinois sont également susceptibles de considérer que la fenêtre d’opportunité pour se mesurer avantageusement avec les Etats-Unis, qui vient juste de s'ouvrir pour eux, pourrait se refermer dans quelques années.
Et si le conflit ouvert commençait suite à une imprudente invasion de Taïwan ?
Et la première occasion de marquer des points pourrait être fournie par une invasion de Taïwan. La population de l’île, quoique chinoise, ne veut pas renoncer à l’indépendance de fait dont elle jouit, malgré les liens économiques étroits noués à l’initiative de Pékin. Or, selon Beckley et Brands, l’île revêt une importance stratégique considérable.
« Taïwan est le pivot de la puissance en Asie orientale », écrivent-ils. Tant qu’elle demeure contrôlée par Taipei, c’est "une forteresse contre toute agression chinoise". Au contraire, contrôlée par Pékin, elle deviendrait "la base arrière d’une constante expansion territoriale chinoise", pour laquelle elle jouerait le rôle d'un "porte-avions insubmersible__", capable de projeter la puissance militaire chinoise partout en mer de Chine méridionale et en mer des Philippines.
Ces derniers mois, Pékin a multiplié les provocations militaires à proximité de l’île. Une invasion n’est sans doute pas imminente, mais elle est hautement vraisemblable.
Or Taïwan est mal défendue. Ses avions de combat et sa flotte sont concentrés dans des bases qu’il serait aisé à Pékin de neutraliser en prélude à une invasion. Washington doit donc aider Taïwan à moderniser ses forces de défense. Et mobiliser les puissances régionales qu’inquiète également l’éventualité d’une annexion de Taïwan, en tout premier lieu le Japon et l’Inde.
Mais les Européens pourraient également jouer leur rôle de dissuasion, en faisant savoir d’avance à Pékin qu’une agression contre Taïwan donnerait lieu, de la part de l’Union européenne, à de sévères sanctions économiques.
Comme tout administration nouvellement responsable, celle de Joe Biden sera sans doute tentée de "faire baisser la température" dans ses relations avec Pékin, estiment Michael Beckley et Hal Brands, mais attention à ne pas perdre un temps précieux. Les Etats-Unis doivent absolument poursuivre le "découplage des deux économies", initié par l’administration Trump.
Mais la passe est dangereuse. Il ne faudrait pas non plus provoquer accidentellement le conflit qu’on cherche précisément à éviter...
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