Fidèle, sa vie durant à l'idéal communiste. Même si le marxisme, au final, a peu influencé son oeuvre d'historien.
Il y a un cas Eric Hobsbawm. Immense historien britannique, traduit dans le monde entier. Mais politiquement contesté…
A la fin de sa longue vie – il est mort en 2012 à l’âge de 95 ans, Eric Hobsbawm était sans doute l’historien le plus célèbre de son temps. Ses livres avaient été traduits dans plus de 50 langues, ils avaient été vendus à plusieurs millions d’exemplaires. Un million rien qu’au Brésil. Et pourtant, dans bien des milieux, Hobsbawm avait une réputation sulfureuse. Pourquoi ? Parce que ce professeur britannique, devenu riche et célèbre au terme de sa carrière, a été toute sa vie un communiste convaincu.
Même les révolutions de 1989 en Europe centrale n’avaient pas ébranlé ses convictions. Je l’ai entendu, en 1993, à LSE, devant des centaines d’étudiants enthousiastes, répéter qu’il n’avait aucun regret pour les purges. Hobsbawm passait pour un stalinien sans remords. Qu’en était-il ?
Un autre grand historien britannique, Richard J Evans s’est penché, pour The Guardian, sur le cas Eric Hobsbawm. Non seulement, il connaît fort bien l’œuvre de son aîné, mais Evans a examiné en détail son autobiographie, Interesting Times, publiée en 2002. Il semble, en outre, avoir eu accès au dossier Hobsbawm constitué et conservé par les services de contre-espionnage britanniques, le MI5.
Il relève le rôle qu’a joué ce service, à certaines occasions, pour bloquer certaines prestations de Hobsbawm à la BBC. En 1945, celui-ci avait posé sa candidature à la radio et elle était en bonne voie. Véto du MI5. Cet homme est un dangereux communiste. Nouvelle objection du « service » à lui confier un documentaire sur la guerre du Vietnam, dans les années 60.
Mais quel genre de communiste était au juste Eric Hobsbawm ?
Né à Vienne de père anglais, Hobsbawm est emmené à Berlin par un oncle et une tante, après le décès précoce de ses deux parents. A quatorze ans, il manifeste avec le KPD contre les nazis. C’est le début d’une immersion dans le communisme qui durera toute sa vie.
En 1933, sa famille d’adoption, d’origine juive, fuit l’Allemagne nazie pour la Grande-Bretagne. Il adhère au Parti communiste de Grande-Bretagne. Mais après avoir connu les manifestations monstres du KPD, son énorme influence sur la classe ouvrière allemande, il juge le parti britannique comme une secte. La ligne est ouvriériste et les intellectuels dans son genre sont mal vus. Or, le brillant étudiant de Cambridge Eric Hobsbawm est surtout un énorme dévoreur de littérature marxiste.
Après la guerre, il a fait partie du Communist Party Historians Group, un cénacle prestigieux, puisqu’il compte des personnalités comme ses collègues EP Thompson, l’auteur de La formation de la classe ouvrière anglaise et de Christopher Hill, moins connu en France. Mais, comme l’écrit Richard Evans, il ne fallait pas compter sur lui pour vendre la presse du parti dans les rues. Ce qui l’intéressait, c’étaient les discussions théoriques avec d’autres historiens marxistes.
Il juge l'invasion de la Hongrie en 1956 comme une "tragique nécessité".
Après le discours mettant en cause les crimes de Staline, prononcé par Khrouchtchev en 1956, le Groupe des historiens communistes envoie aux dirigeants de leur parti un texte exigeant une reconnaissance des erreurs passées et un changement de ligne. Sans effet. La violente répression de l'insurrection de la Hongrie par l’Armée Rouge provoque la rupture de beaucoup d’intellectuels britanniques. Pas Hobsbawm. Malgré la sauvagerie de la répression, qui fait 2 500 morts, il juge que l’invasion comme « une tragique nécessité ». Et il se contente de souhaiter que les troupes soviétiques se retirent aussitôt qu’elles ne seront plus nécessaires.
Evans montre comment Hobsbawm s’est comporté envers le Parti : il a toujours ménagé ses critiques envers la direction, de manière à éviter l’éviction ou la démission forcée. Cet orphelin avait terriblement besoin d’une famille. Le communisme lui en a procuré une. Il aurait eu des tendances eurocommunistes dans les années 70. Et, dans les années 80, il aurait conclu d’une lecture de Gramsci, que la classe ouvrière britannique ne pouvait espérer bâtir le socialisme sans passer des alliances avec des éléments de la classe moyenne. Ce qui ferait de lui une des inspirations de la ligne adoptée, au parti travailliste, par Neil Kinnock. Admettons.
Mais en tant qu’historien, quel rôle a joué l’engagement communiste de Eric Hobsbawm ?
Très faible, selon Richard Evans. Pour lui, si Hobsbawm a subi une influence intellectuelle déterminante, c’est celle de l’Ecole française des Annales, bien davantage que celle du marxisme. C’est particulièrement évident dans son livre, L’Ere des révolutions. En tant qu’historien, il est libre et s’écarte de la vision communiste lorsqu’elle ne lui paraît pas convaincante. Ainsi dans L’ère des empires.
Ce qui a vraiment intéressé Hobsbawm et ce qui a fait de lui un précurseur, c’est l’attention qu’il a portée aux marginaux, aux déviants, aux bandits, aux révoltes en apparence irrationnelle – ce qu’il appelait « les rebelles primitifs ». Il y voyait des précurseurs des grandes révoltes ouvrières. C’étaient ses rebelles qui l’intéressaient en particulier. Comme lui, des marginaux.
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