Le consternant retour de l'antisémitisme en Europe

Marche blanche à la mémoire de Mireille Knoll.
Marche blanche à la mémoire de Mireille Knoll. ©AFP - JAN SCHMIDT-WHITLEY / NURPHOTO
Marche blanche à la mémoire de Mireille Knoll. ©AFP - JAN SCHMIDT-WHITLEY / NURPHOTO
Marche blanche à la mémoire de Mireille Knoll. ©AFP - JAN SCHMIDT-WHITLEY / NURPHOTO
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En 12 ans, 11 de nos compatriotes ont été tués, parfois torturés, parce qu'ils ont été identifiés comme Juifs. Un cas qui, hélas, n'est pas isolé en Europe.

Je suis l’un des 300 premiers signataires de l’Appel, lancé à l’initiative de Philippe Val, l’ancien directeur de France Inter, contre la résurgence de l’antisémitisme en France. Que dit cet appel ? Qu’est-ce qui réunit ses signataires ?

Cette réaction émane de personnalités, qui vont de droite (Sarkozy, Wauquiez, Raffarin) à gauche (Valls, Cazeneuve, Delanoë), pour ce qui est des politiques. Elle a été signée par pas mal de gens du spectacle, comme Aznavour, Françoise Hardy, Renaud et Gérard Depardieu ; par de nombreux intellectuels et par quelques patrons, comme notre présidente de Radio France, Sibyle Veil et Xavier Niel. 

On pourra juger qu’elle est tardive : « Dans notre histoire récente, onze Juifs viennent d’être assassiné – et certains torturés », lit-on dans cet Appel. Or, l’enlèvement et le meurtre d’Ilan Halimi date déjà de 12 ans, le massacre d’enfants et d’enseignants de l’école Ozar Hatorah de Toulouse a eu lieu en mars 2012. Depuis, nous avons subi la prise d’otages et la tuerie de l’hypercacher de la Porte de Vincennes, en 2015, puis l’assassinat et la défenestration de Sarah Halimi, dont la nature antisémite, pourtant évidente, a été longtemps niée par la Justice pour des raisons d’opportunité politique. Et tout récemment, l’assassinat, chez elle, d’une rescapée de la rafle du Vel d’Hiv, Mireille Knoll

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Oui, ça se passe dans notre pays : onze de nos compatriotes ont été tués parce qu’ils étaient juifs. Les Juifs français ne se sentent plus en sécurité dans certains de quartiers de nos métropoles. Il y a des départements où ils ont renoncé à confier leurs enfants à l’enseignement public. Comme le dit le Manifeste, « il s’agit d’une épuration ethnique à bas bruit au pays d’Emile Zola et de Clémenceau ».  

Pourquoi un long silence ? Pourquoi une si longue solitude des Juifs français ?

« Pourquoi ce silence ? interroge le Manifeste. « Parce que la radicalisation islamiste – et l’antisémitisme qu’il véhicule – est considérée exclusivement par une partie des élites françaises comme l’expression d’une révolte sociale__, alors que le même phénomène s’observe dans des sociétés aussi différentes que le Danemark, l’Afghanistan, le Mali, ou l’Allemagne….»

On lit dans notre Manifeste, « qu’au vieil antisémitisme de l’extrême droite, s’ajoute l’antisémitisme d’une partie de la gauche radicale__, qui a trouvé dans l’antisionisme, l’alibi pour transformer les bourreaux des Juifs en victimes de la société »… 

Et, en effet, l’antisémitisme de gauche, même s’il n’est pas une nouveauté dans notre pays – Les Juifs, Rois de l’époque, Histoire de la féodalité financière du socialiste Alphonse Toussenel a été publié en 1847 – cet antisémitisme-là marque une rupture avec une longue tradition. 

Depuis l’Affaire Dreyfus et le ralliement tardif de certains socialistes, comme Jules Guesdes et Paul Lafargue, au combat lancé par Jaurès et Clémenceau pour la libération et la réhabilitation du capitaine, on pouvait croire l’ensemble de la gauche immunisée contre l’antisémitisme. Dans notre pays, les antisémites ont toujours été aussi des ennemis de la République. C’est pourquoi la défense républicaine s’est confondue, pendant plus de cent ans, avec la lutte contre l’antisémitisme. Sommes-nous bien sûrs que ce soit encore le cas ? A côté du vieil antisémitisme d’extrême droite, bien connu et documenté, celui-là, n’assistons-nous pas au développement d’un nouvel antisémitisme

L'antisémitisme, dans toute l'Europe...

C’est une question qui se pose à présent dans toute l’Europe. Au moment même où nous en prenons enfin conscience en France, un débat virulent agite à ce sujet le Labour britannique. Le grand quotidien de gauche, The Guardian, en rend compte depuis des semaines. Et la Chambre des Communes a tenu, mardi dernier, une session de trois heures consacrées à la question de l’antisémitisme en Grande-Bretagne, un pays qui a longtemps ignoré cette plaie.

La semaine dernière, une vidéo a ébranlé la bonne conscience des Allemands. Filmé dans le quartier bobo hyper-branché de Prenzlauer Berg, on y voit un jeune Juif, Adam Armusch, étudiant en médecine vétérinaire, se faire poursuivre et frapper à coups de ceinture, par un homme qui lui crie « yahoud ! » - Juif, en arabe. Le jeune homme, qui portait une kippa, a filmé son agression. L’un des assaillants (ils étaient trois) s’est rendu à la police. Il s’agit d’un Syrien de 19 ans, réfugié en Allemagne. Car oui, ça se passe en Allemagne, pays qui, comme l’a rappelé le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, « porte une responsabilité particulière » envers les Juifs. Ces dernières années, il ne les a pas vraiment assumées. La Chancelière semble en avoir pris enfin conscience. Elle a récemment nommé un Commissaire à l’antisémitisme, Felix Klein.

Dans le même temps, comme je le rappelais ces dernières semaines, le chef du gouvernement hongrois, Viktor Orban, a lancé une campagne de propagande au niveau de l’Etat hongrois contre George Soros, présenté comme le « manipulateur » de l’opposition aux sous-entendus antisémites manifestes. Soros, qui finance un grand nombre d’ONG grâce à l’Open Society, pourrait être contraint de quitter Budapest. Tant pis pour les milliers d’étudiants qu’il a aidés de ses bourses… En Pologne, les réactions hostiles qu’a suscitées l’interdiction légale d’attribuer au pays les camps d’extermination nazis ont provoqué une libération de la parole antisémite très inquiétante.

C’est pourquoi cette semaine, je consacrerai mes chroniques à la question du retour de l’antisémitisme en Europe.