Les géants du numérique, interdits en Chine continentale, avaient trouvé une base arrière à Hong Kong. Ils sont à présent face à un dilemme : participer à la mise au pas ou partir.
Je suis arrivé à Hong Kong les mains vides. Tous mes succès, je les dois aux libertés dont j’ai joui à Hong Kong. Aujourd’hui, je suis heureux de payer le prix de cette liberté, fût-ce celui de ma propre vie. Jimmy Lai Chee-Ying, lors de son arrestation, le 10 de ce mois d’août.
Jimmy Lai, magnat des médias, arrêté avec ses deux fils et son état-major
Jimmy Lai Chee-Ying n’est pas le premier venu. Ce magnat de la presse de Hong Kong, y a fondé la société Next Digital Limited, le premier groupe de médias de la "région administrative spéciale" chinoise. Il y édite le quotidien Apple Daily, très populaire sur place.
L'homme connaît le prix de la liberté, lui qui a fui la Chine continentale à l’époque du fameux « Grand bond en avant », lancé par Mao Zedong entre 1958 et 1961. Cette désastreuse campagne de collectivisation de l’agriculture chinoise a provoqué une épouvantable famine. Selon l’historien chinois Yu Xiguang, elle aurait causé la mort de 55 millions de personnes, sur une population qui, à l’époque, en comptait 650 millions. Comme ce fut le cas en Ukraine, lors de la collectivisation de l’agriculture par Staline, il y eut de très nombreux cas d’anthropophagie. La répression exercée contre les paysans et les intellectuels, hostiles à Mao, fut féroce.
C’est dans ce contexte que Jimmy Lai, à l’âge de onze ans, s’est réfugié à Hong Kong, à l’époque colonie britannique. Après avoir travaillé comme ouvrier dans une usine textile, il a monté sa propre entreprise d'habillement, Giordano. Elle s’est fait connaître en imprimant des tee-shirts portant des slogans favorables à la démocratie, à l’époque du massacre de la place Tian ‘anmen, en 1989. Car, pour ce self-made man, juteux business et défense des droits de l’homme font bon ménage.
C’est pourquoi il vit très mal ce qui est en train de se produire à Hong Kong. Depuis la prise du pouvoir par Xi Jinping à Pékin, le nœud autour de la « région administrative spéciale » de sept millions d’habitants ne cesse de se resserrer. Et la loi sur la sécurité nationale, adoptée par Pékin le 30 juin, viole tous les accords que le gouvernement chinois avait signés lors de la rétrocession de cette ancienne colonie britannique à la Chine en 1997. Le mythe « un pays, deux systèmes » a volé en éclats. La loi permet désormais l’arrestation des militants pro-démocratie pour des motifs aussi invérifiables que la « subversion », ou la « collusion avec des puissances étrangères ». Cet été, en une nuit, un des hôtels du centre de la péninsule a été soudain réaffecté à l’état-major d’une nouvelle force de police politique spéciale, venue de Pékin.
Une liberté de la presse de plus en plus menacée, en dépit des promesses de Pékin
Non seulement les journaux et magazines qui refusent la mise au pas sont étranglés par l’assèchement programmé de leurs ressources publicitaires et les pressions exercées sur leurs journalistes, mais les plateformes numériques sont fermement invitées à censurer les discussions en ligne et à communiquer l’identité de leurs utilisateurs au pouvoir communiste chinois. Facebook, Twitter, Telegram, Google et Microsoft ont annoncé en juillet qu’ils suspendaient leurs coopérations avec les autorités de Hong Kong et qu’elles examinaient les conséquences prévisibles de de la loi sur la sécurité nationale pour leurs propres activités. Pékin menace ces géants du numérique de jeter leurs employés de Hong Kong en prison. Leur matériel peut être saisi. Déjà, l’an dernier, Google et Apple avaient accepté de supprimer certaines applications utilisées par le mouvement pro-démocratie à Hong Kong. En violation de toutes ses promesses antérieures, Pékin va-t-il couper la population deHonk Kong du réseau mondial par une « grande muraille numérique », telle que celle qui interdit aux Chinois l’accès à l’internet mondial ?
Tik Tok, qui est détenu par une société chinoise, mais se vante de ne pas communiquer ses données au gouvernement de Pékin, a décidé de se retirer de Hong Kong « à la lumière des récents événements ». Une manière habile de ne pas avoir à choisir entre la soumission et la résistance.
Quant à Jimmy Lai, inculpé de « complicité avec des puissances étrangères », il a eu la bonne surprise de voir le cours des actions de son groupe de presse s’envoler pendant sa détention provisoire. 73 % des achats d’actions de son groupe, Next Digital, ont été le fait de petits épargnants. Et le tirage de son journal, Apple Daily, s’est envolé, passant en une semaine de 70 000 exemplaires à 550 000. Les supporters de la démocratie à Hong Kong votent avec leur argent.
Collaborer avec Pékin dans la chasse aux dissidents ?
Comme l’écrit Frédéric Schaeffer, le correspondant sur place du quotidien Les Echos, « les milieux d’affaire auraient tort de ne voir dans la loi qu’un instrument visant à mater les contestataires et à restaurer le calme et la confiance à Hong Kong. » « Alors que la prospérité de l’île reposait sur son accès unique au marché chinois, combiné à un solide Etat de droit, cette nouvelle loi étend massivement le pouvoir du Parti communiste chinois et torpille l’indépendance du système judiciaire. » Les entreprises étrangères ont tout à redouter des pressions de Pékin ; ce n'est pas seulement leur indépendance qui est menacée, ce sont aussi leurs intérêts...
Ce qui se joue en ce moment, à Hong Kong, est décisif pour la liberté de communiquer. Tous les Etats autoritaires de la planète, tous ceux qui rêvent de faire la chasse aux critiques sur internet observent attentivement le bras de fer en cours, et ils sauront en tirer leurs propres conclusions.
L'équipe
- Production