Les GAFA peuvent-ils vraiment tuer la démocratie ?
Platon : la méfiance des élites envers les foules.
Folie des foules, sagesse collective, mon sujet de chronique d'hier : l’un des critiques les plus véhéments de la folie des foules, c’est Platon…
Comme on sait, ce philosophe n’était pas un grand fan de la démocratie athénienne. Pour lui, le demos se conduisait d’une manière indisciplinée parce qu’il était régi par ses émotions et ses préjugés, ses colères et son ignorance ; et surtout, aveuglé par la poursuite de ses intérêts à court terme, il poussait à des décisions qui contredisaient les intérêts à long terme de la cité.
Mais l’expression « la folie des foules » a été créée par un essayiste écossais du XIX° siècle, Charles Mackay, dans son livre de 1841 « Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds ». Illusions populaires extraordinaires et folie des foules. Il y analysait notamment les engouements extravagants et les bulles spéculatives, telle que la fameuse crise des tulipes qu’a connue la Hollande au XVII° siècle.
Peuples et élites : l'ère de la confiance mutuelle.
C’est lentement, que les oligarchies gouvernantes se laissèrent convaincre que la seule source de légitimité incontestable ne pouvait provenir que de l’assentiment des gouvernés. Mais dans la plupart des pays qui ont adopté la démocratie, le droit de vote est demeuré longtemps entre les mains d’une minorité qui s’estimait plus éclairée, plus rationnelle et plus compétente. L’élargissement du suffrage au peuple entier a été très progressive.
Au cours du XX° siècle, la tendance a été de faire confiance à la sagesse des masses, plutôt qu’à se méfier de leur folie. Même si les engouements et les égarements collectifs ont engendré des régimes totalitaires, comme le montre Ortega Y Gasset. Mais, en gros, depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, la démocratie parlementaire paraissait constituer une tendance inexorable. La méfiance des élites envers les foules avaient disparu. Et la confiance des masses envers les élites été rétablies.
Nouveaux défis à la démocratie.
Mais voilà qu’à nouveau, les démocraties font face à des formes renouvelées de lassitude et de scepticisme ; en outre, elles affrontent des défis inédits. La méritocratie communiste qui gouverne la Chine se présente comme le meilleur rempart aux folies de la foule. Un universitaire néo-zélandais, professeur de sciences politiques à l’université Victoria de Wellington, Colin James, a récemment mis en ligne une étude intitulée La sagesse des foules versus la folie des foules, qui fait le point sur l’état du débat, à partir d’un certain nombre d’études de parution récente.
Les démocraties libérales, constate-t-il, reposaient sur l’alternance au pouvoir de partis modérés de droite et de gauche. Les préférences des foules, canalisées par leurs représentants élus, étaient ainsi maintenues dans certaines limites. Nous avons connu, écrit Colin James, une ère de ‘bounded rationality’, de rationalité contrainte. Mais depuis quelques années, la foule n’est plus modérée par des partis modérés. Des frustrations ont été exploitées par des démagogues à la Trump. Les partis modérés sont mis au défi par de nouveaux mouvements politiques qui – je cite – « se posent en alternative aux élites et dont la séduction repose davantage sur ce qu’ils refusent que sur ce qu’ils proposent. »
De son côté, la démocratie représentative semble en échec. Elle apparaît comme confisquée par des classes ou des partis qui utilisent le pouvoir à leur avantage. Elle a perdu la capacité d’éclairer le demos. Elle subit les manipulations de puissances étrangères.
La démocratie et internet, obéissant à des logiques contradictoires, ne sont pas compatibles...
En cause, les nouveaux requins de la finance, l’oligopole de l’économie numérique. Les GAFA étouffent la presse d’investigation en la pillant. Ils canalisent les informations en fonction de ce qu’ils savent de leurs utilisateurs. Un pourcentage inouï des messages qu’ils colportent ont pour source des robots. Ils bombardent le public de fake news.
L’acte d’accusation dressé par le politologue britannique Jamie Bartlett, dans The People versus Tech : How the Internet is killing Democracy, est accablant et convaincant. Pour lui, la démocratie et internet sont carrément incompatibles. Tant ils obéissent à des principes et des logiques contradictoires. La démocratie exige des délibérations qui prennent du temps, l’inscription dans un espace physique délimité et précis, une culture partagée, des élections, la confiance envers les autorités légales – tout ce que fracasse internet… Si les dirigeants des démocraties ne parviennent pas à les mettre sous contrôle, prétend Bartlett, les réseaux sociaux finiront par détruire nos démocraties.
... à moins que le numérique ne se mette au service de l'élargissement de la démocratie.
Mais la note de Colin James se conclut sur une note optimiste. Sur le modèle du crowd-funding, qui permet de financer des start-ups ou des associations, on devrait pouvoir sauver la démocratie par le crowd-sourcing, ou production participative. Des décisions qui affectent la vie des gens pdoivent être prises, justement grâce aux outils numériques, avec la consultation des premiers concernés. Je cite « à travers une utilisation novatrice des technologies numériques pour informer, consulter, impliquer les électeurs dans des décisions plus complexes que les référendums à réponse binaire oui ou non."
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