Le paradoxal triomphe électoral de Narendra Modi

Le paradoxal triomphe électoral de Narendra Modi
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Les signaux économiques de l'Inde clignotent à l'orange, mais les électeurs lui ont donné une majorité renforcée. La plus grande démocratie du monde est-elle menacée d'un tournant autoritaire ?

On a voté, ce mois-ci, dans la plus grande démocratie du monde. Les résultats de ce scrutin ont provoqué beaucoup d’étonnement. 

L’élection indienne de 2019 deviendra un cas d’école propre à chambouler l’idée généralement admise en politique électorale, selon laquelle un élu qui se représente est jugé d’après ses capacités à tenir ses promesses. » C’est ce qu’écrit Shashi Tharoor sur le site Project Syndicate. Narendra Modi avait gagné les élections en Inde il y a cinq ans, en proposant de faire de son pays un géant manufacturier aux capacités high tech spectaculaires. Il annonçait un plan de relance des investissements. Il promettait à la jeunesse indienne la création de millions d’emplois grâce à une croissance spectaculaire. 

Les résultats sont loin de correspondre à ces promesses de campagne. Sous la gouvernance de Modi, la croissance indienne a joué aux montagnes russes, mais en moyenne, elle est demeurée inférieure à ce qu’elle était au début du siècle. Le gouvernement affiche un taux de 6 %, que de nombreux experts jugent surévalué de deux points. Les exportations sont médiocres, les finances publiques, mal en point pour cause de rentrées fiscales décevantes. En ville, le chômage a bondi, et à la campagne, le revenu agricole stagne désespérément. 

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N’importe quel autre dirigeant aurait perdu le pouvoir sur ce mauvais bilan. Narendra Modi, lui, en sort paradoxalement renforcé. Son parti, le BJP, avec 45 % des suffrages, améliore son score de 2014. Il obtient une majorité absolue de 303 sièges au Parlement sur 543, et même une cinquantaine de plus, grâce à ses alliés.

Lorsqu’on ne tient pas ses promesses, on n’est pas réélu. Narendra Modi remporte, lui, un triomphe. Comment l’expliquer ?

D’abord par la personnalité même de Narendra Modi, son charisme extraordinaire. Il est omniprésent dans les médias. Le BJP, une machine électorale incroyablement bien huilée et efficace, a mené une campagne entièrement centrée sur la personne de son leader. La présidentialisation du système parlementaire indien a été totale. Les agents électoraux du BJP ont laissé des messages demandant de les rappeler à chaque numéro de téléphone, ils se sont rendus dans chaque foyer avec, toujours, le même message : c’est votre devoir de voter pour Modi. 

Cette personnalisation à outrance a marché : en mai 2014, lors des dernières élections, 36 % des Indiens voulaient Modi pour premier ministre, ils sont 43 % en mai 2019. Très significatif aussi : l’homme est plus populaire que son parti. Plus étonnant encore : de nombreux analystes ont relevé, chez les électeurs, le besoin de « trouver des excuses » aux échecs de leur favori. 

Faire passer l'économie au second plan des préoccupation des électeurs. 

Pour se faire pardonner leurs échecs, Modi et son parti sont parvenus à faire passer l’économie au second plan des préoccupations des électeurs. Au début de la campagne électorale, la question du chômage apparaissait en tête des inquiétudes de 21 % des sondés. A la veille du vote, ils n’étaient plus que 12 %. 

Ce qui l’a remplacé ? Les questions de sécurité nationale. Et c’est pour ça que Modi a remporté son deuxième mandat. Il apparaît aux Indiens comme un leader fort et déterminé, un nationaliste à poigne. Il l’a prouvé lors des attaques terroristes au Jammu-et-Cachemire en février dernier. Modi a répliqué immédiatement en faisant bombarder par son aviation des camps d’entraînement situés au Pakistan. 

Comme l’écrit Milan Vaishnav, dans le Washington Post, c’est « la question du leadership qui l’a emporté sur les motifs de plainte. Et, paradoxalement, malgré leurs inquiétudes sur le plan économiques, les électeurs ont considéré que Modi était le mieux placé pour donner suite à leurs doléances. » 

Un mauvais signe pour la santé de la démocratie dans le monde. 

A présent, le sort de la plus grande démocratie du monde est entre les mains de cet homme. Modi, leader nationaliste et populiste va-t-il emmener l’Inde sur le chemin de l’autoritarisme ? Beaucoup le craignent. Shashi Tharoor écrit : « l_’inquiétude qui étreint de nombreux Indiens libéraux est que l’idée longtemps chérie de leur pays comme un Etat bienveillant, inclusif, dynamique dans son étonnante diversité de religions, d’ethnicités, de langages et de castes – est en train de s’écrouler. A sa place, émerge une Inde qui est moins pluraliste, moins tolérante, qui accepte moins la différence que celle que nous avons longtemps célébrée._ » 

En tous cas, le tournant pris par l’Inde, signe des temps, est un mauvais signe pour la santé de la démocratie dans le monde. 

 

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