Le paradoxe : le punk est devenu une tradition !

Des Punks à Londres en 1970
Des Punks à Londres en 1970 ©Getty - Erica Echenberg
Des Punks à Londres en 1970 ©Getty - Erica Echenberg
Des Punks à Londres en 1970 ©Getty - Erica Echenberg
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Une esthétique et une idéologie.

Oui, le paradoxe du punk, c’est qu’il a été, comme ses concepteurs eux-mêmes l’avaient prévu, une conflagration, un bref moment de déchaînement, une flambée de colère issue d’une immense frustration et qu’en même temps, il a engendré une espèce de tradition. Dés 1978, moins de deux ans après l’apparition des Sex Pistols, le groupe Crass chantait « Punk is dead ». Et pourtant, aujourd’hui, Il y a des punks dans toute sorte de pays, souvent très éloignés de la culture ouvrière britannique au sein duquel est né le mouvement. 

Au Vietnam, par exemple, il y a pas mal de punks. Et ils sont très ressemblants. En 2011, la police indonésienne de la province d’Aceh a mené une véritable chasse aux punks, accusés de « menacer les valeurs islamiques ». Des dizaines de participants à un concert ont été raflés. Rasés, ils ont été « réhabilités » dans des camps aux conditions de vie strictement militaires, tandis qu’on leur infligeait « un retour sur le juste chemin moral et religieux », à coup de lecture obligatoire du Coran. 

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Le punk est mort et pourtant il est bien vivant. Ses promoteurs voulaient abolir toutes les traditions et, malgré eux, ils en ont inventé une. On a même vu cette chose inimaginable, les Sex Pistols se reformer, pour quelques concerts, en 2007, dans leur formation originale, Glen Matlock retrouvant la place de bassiste que Sid Vicious lui avait prise. Quarante ans plus tard, les quatre sont devenus obèses, il leur manque des dents et ils professent le nationalisme prolétarien anglais… Leur nouvel hymne n’est plus le détournement anarchiste du God Save the Queen, mais There’ll always be an England… 

L’an dernier, Johnny Rotten qui est redevenu John Lydon en prenant la citoyenneté américaine, faisait l’éloge de Donald Trump et du Brexit. « La classe ouvrière a parlé, et moi, j’en fais partie, c’est fantastique », a-t-il déclaré à la télévision britannique à propos du Leave. Commentaire de la revue Outline, « Johnny Rotten aurait détesté John Lydon ». 

Dans le punk, écrit Jon Savage, « il y a avait une menace de classe implicite ». C’était un mouvement culturel lié au Lumpenprolétariat, né parmi les jeunes chômeurs des squats de Londres. 

Même sa haine des hippies avait un contenu de classe. L’optimisme naïf des « enfants-fleurs » reflétait, en effet, les valeurs des rejetons d’une bourgeoisie qui accédaient aux études supérieures, même s’ils ne les terminaient pas souvent… Les punks, eux, ne faisaient pas d’études. Ils ne croyaient pas aux lendemains qui chantent, mais exhibaient l’ennui d’un quotidien désenchanté dans une ville, Londres, à l’époque**, misérable et apocalyptique.** 

Au slogan pacifiste des campus américains, Peace and Love, les punks londoniens ripostaient « hate and war ». A l’esthétique florale, vaguement inspirée de l’art nouveau des hippies, les punks opposaient l’angle aigu, la pointe, leurs chevelures hirsutes. Ils contredisaient aussi les couleurs tendres ou acidulées portées par les hippies avec une esthétique du le noir et blanc. Aux vêtements amples et informes des hippies, taillés dans des matières douces et soyeuses, les punks opposaient leurs pantalons hyper-moulants, terminées par des rangers militaires montantes, et bien sûr, le perfecto noir porté sur un tee-shirt blanc ou une chemise blanche déchirée. 

Les Clash, qui étaient clairement marqués à gauche, soutenant les sandinistes et critiquant l’impérialisme américain, flirtaient cependant avec un look militariste : pantalons treillis, rangers, formation en brigade. Mais ils portaient surtout des fermetures-éclairs partout : sur leurs blousons, comme sur leurs pantalons. Le tee-shirt zippé était une invention de Vivienne Westwood. Les punks aimaient les fermetures-éclairs…

Les punks s’opposaient aussi au disco. A leurs yeux, un faux remède à l’ennui. Une ruse des industries du divertissement. Une aliénation. Et le disco était lié aux minorités ethniques et les punks étaient blancs. Même si beaucoup se sont engagés dans le combat antiraciste.

La morale du punk a souvent été définie par le slogan DIY, ou do it yourself. Il ne s’agissait pas de monter soi-même des meubles suédois, mais de s’auto-produire, de s’auto-distribuer, d’échapper aux circuits commerciaux traditionnels. A l’entrée des concerts punks, toute sorte de gens vendaient des fanzines composés de pages photocopiées. 

En France, le groupe Bazooka a offert au mouvement punk un prolongement graphique particulièrement excitant. Les collectionneurs s’arrachent aujourd’hui ces productions, comme l’écrit Chris Kraus dans le TLS. Car l’autre paradoxe, c’est que le mouvement punk est entré dans l’histoire culturelle. Comme l’écrit encore Chris Kraus, « c’est devenu un phénomène de mode, une sous-culture dûment identifiée, répertoriée, récupérée par l’industrie musicale. » Ainsi finissent toutes les avant-gardes, aussi subversives qu’elles se fussent proclamées. 

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