Le PCC, méritocratie confucéenne, ou Nomenklatura ?

Lee Kuan Yew, le père fondateur du régime de Singapour
Lee Kuan Yew, le père fondateur du régime de Singapour ©AFP - ROSLAN RAHMAN
Lee Kuan Yew, le père fondateur du régime de Singapour ©AFP - ROSLAN RAHMAN
Lee Kuan Yew, le père fondateur du régime de Singapour ©AFP - ROSLAN RAHMAN
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Les dirigeants chinois opposent au modèle compétitif des démocraties libérales de l'Occident, leur propre système autoritaire, inspiré du confucianisme. Mais c'est Singapour qui pourrait le mieux se targuer d'avoir mis en oeuvre les "valeurs asiatiques" traditionnelles.

Comme souvent, les Européens s’imaginent avoir découvert des institutions et des pratiques qui préexistaient depuis longtemps aux leurs. Ainsi, la méritocratie – au sens de sélection des employés de l’Etat par le biais d’examens est, en Chine, une idée aussi vieille que le confucianisme. Confucius l’avait préconisée, en effet, dès le 6° siècle avant Jésus-Christ. Et elle reçut un commencement de mise en pratique en l’an 136 avant Jésus Christ, par décision d’un empereur de la dynastie han, Wu. Huit ans plus tard, le même empereur Wu créait la première ENA de l’histoire : une Académie impériale, chargée de former et de sélectionner les mandarins à son service… Mais le système mandarinal moderne, avec son examen et ses 15 grades, date de l’an 605 de notre ère. Et il demeura en l’état en Chine jusqu’au début du XX° siècle.

Le maoïsme, avec son égalitarisme de principe, lui porta un coup qui semblait fatal. Mais la Chine actuelle se veut à nouveau – et plus que jamais - une méritocratie. Daniel A. Bell – à ne pas confondre avec le célèbre sociologue américain Daniel Bell, décédé en 2011, a publié l’an dernier un livre fascinant intitulé L e Modèle chinois. La méritocratie politique et les limites de la démocratie. Il définit la méritocratie, dans la tradition confucéenne, comme « un système destiné à sélectionner et à promouvoir des leaders dotés de capacités et de vertus supérieures ».

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En Occident aussi, nous avons notre méritocratie, écrit Daniel A. Bell. C’est le service public, recruté généralement sur la base de concours d’aptitude. Mais ses membres doivent théoriquement obéir et rendre compte à des politiques qui sont, eux, des élus, choisis par le peuple. Le système chinois est différent en ce qu’on n’y fait pas de véritable distinction entre dirigeants politiques et fonctionnaires. Comme, de manière générale, dans les systèmes communistes de parti unique, c’est au sein du même personnel que se recrutent les responsables de la prise de décision et ceux chargés de leur mise en œuvre.

Daniel A Bell qualifie le modèle chinois de « méritocratie démocratique verticale ». La théorie veut que plus on escalade les échelons du pouvoir, plus on se rapproche du centre, plus le mode de sélection s’avère méritocratique, dit-il. Démocratie à la base, expérimentation aux échelons intermédiaires, méritocratie au sommet – tel est le schéma proposé. La méritocratie chinoise, selon Daniel A. Bell, repose sur une évaluation des potentiels, mais aussi et surtout des résultats obtenus à chaque étape des carrières. Les dirigeants passent leur temps à se faire évaluer. Nombreux sont ceux qui arborent des doctorats – pas toujours obtenus de manière très académique…

Xi Jinping, le nouveau patron du parti communiste, aime opposer le système méritocratique chinois, incarnation des « valeurs asiatiques » au modèle des démocraties pluralistes occidentales, où la concurrence pour le pouvoir, est arbitrée par l’électorat. Les « valeurs asiatiques » sont censées favoriser l’harmonie par le consensus plutôt que le conflit régulé, la continuité de l’action gouvernementale plutôt que l’alternance, l’intérêt collectif et la famille plutôt que les droits de l’individu. Bref, elles sont présentées comme une alternative aux valeurs libérales démocratiques de l’Occident… Et le PC au pouvoir n’hésite pas à leur attribuer le mérite du fantastique décollage dont un demi-milliard de Chinois ont profité.

Dans la propagande du régime, les fameuse « valeurs asiatiques » - méritocratie confucéenne comprise – servent surtout à légitimer le monopole du parti unique sur le pouvoir. On observe que leur invocation accompagne souvent les tournants autoritaires, tel que celui pris récemment sous l’impulsion de la nouvelle direction.

Le véritable modèle méritocratique asiatique est bien mieux incarné par le régime installé par Lee Kuan Yew à Singapour. Il est généralement crédité d’avoir combiné autoritarisme mesuré et bonne gouvernance, stabilité politique et efficacité économique : son PIB par habitant, désormais bien supérieur au nôtre, en atteste.

On a publié, ces dernières années en Chine, quantité d’essais politiques consacrés au modèle singapourien. Le titre de l’un d’entre eux, dû à un professeur d’histoire de Nanjing, Lu Zhengtao, est suffisamment éloquent : « Singapour. Modernisation sous régime autoritaire ». Mais comme le fait observer un article récemment paru dans le Journal of Democracy, la Chine et Singapour évoluent dans deux directions opposées : toujours moins autoritaire, à Singapour, toujours plus en Chine continentale… Il y a des élections et des partis d’opposition légaux à Singapour. Et si le Parti de l’Action populaire a encore enregistré un score spectaculaire, en remportant près de 70 % des suffrages, c’est au cours d’élections assez honnêtes. En Chine, ces élections, on les attend encore...

En réalité, ce qui attire les dirigeants chinois dans le modèle de Singapour, c’est surtout sa capacité à éradiquer la corruption ; alors que celle-ci mine l’économie chinoise. Mais nombre de promotions au sein de l’appareil du PPC ne sont pas fondées sur les mérites, mais bien plutôt sur le maiguanl’achat pur et simple de la fonction dont le titulaire espère s’enrichir rapidement. Pas très confucéen, tout ça !

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