D'où un désenchantement envers un système démocratique où les souhaits de la majorité ne sont pas reflétées par les politiques menées au niveau national.
Toute cette semaine, je vous ai parlé de la thèse de la « déconsolidation démocratique », énoncée par un jeune politologue de Harvard, Yascha Mounk. Or,,celui-ci Mounk justement ce mois-ci dans The Atlantic, un mensuel très influent aux Etats-Unis, une étude qui résume bien ses idées concernant le risque d’usure que court, selon lui, la démocratie.
« Les leviers du pouvoir ne sont plus contrôlés par le peuple », écrit-il d’emblée, rapportant une expérience vécue dans la petite ville d’Oxford, Massachusetts. Exaspérés d’être rackettés par une société de fourniture d’eau potable qui ne cessait d’augmenter ses prix, un comité de citoyens s’est mobilisé pour la racheter. Lors de l’assemblée générale censée prendre cette décision, la société en question avait truffé la salle de gens payés pour saboter le meeting. Au moment du vote, l’un d’entre eux a même fini par couper le courant…
Du niveau le plus local au niveau fédéral, celui de Washington, selon Mounk, sur une vaste étendue de sujets, les politiques poursuivies ne reflètent plus les préférences de la majorité des Américains. Sinon, la marijuana serait légalisée, les contributions financières aux campagnes électorales plafonnées, le congé parental généralisé et le commerce des armes à feu davantage réglementé. Que se passe-t-il pour que ce ne soit pas le cas ?
Il y a d’abord, le pouvoir exagéré des lobbies représentant les intérêts du Big Business. Celui-ci n’est plus équilibré par celui des associations dont la puissance reposait sur la masse de leurs adhérents, telles que l’AARP, qui défend les retraités. Oui, les Etats-Unis sont de plus en plus dirigés par une oligarchie, comme le prétendent à la fois la gauche (le Washington Post) et l’extrême droite (Breitbart News).
Les Américains n’ont jamais aimé les politiciens, poursuit Yascha Mounk. Mais tant que le moteur à produire des richesses et à accroître le bien-être fonctionnait correctement, les gens faisaient confiance aux élites dirigeantes. Tel n’est plus le cas depuis que les nouvelles générations vivent moins bien que leurs parents au même âge.
Le public a pris l’habitude de participer, en direct, aux émissions de téléréalité. Il aspire à se mêler, grâce au numérique, à la manière dont sont conduites les affaires publiques. Or, lorsqu’ils examinent les décisions prises par les politiciens, les gens ont la surprise de constater que, bien souvent, encore une fois, celles-ci ne reflètent pas leurs préférences. D’où un désenchantement envers la démocratie. Un désir de zapper les politiciens...
« Il y a un politicien qui a eu l’intention de ce mécontentement et qui a promis bruyamment d’y porter remède. Il s’appelle Donald Trump. Il s’est fait élire en promettant d’être « la voix du peuple » et de combattre une élite irresponsable et corrompue". Significativement, la fraction de l’électorat qui l’a porté au pouvoir se recrute parmi ceux qui estimaient : « _on ne tient pas compte de l’avis des gens comme mo_i ». Or, jamais un gouvernement n’a été autant que le sien, entre les mains des lobbyistes et des milliardaires.
Et Mounk de décrire comment la vie des élus du Congrès est aujourd’hui dévorée par la recherche de financement. Le vrai job d’un congressman, c’est de chercher de l’argent, de séduire des donateurs. De manière générale, les membres du Congrès n’ont qu’un rapport lointain avec l’état dont ils sont les élus. Eduqués dans quelque université prestigieuse des côtes est ou ouest, ils ont ensuite travaillé comme avocat ou dans la finance dans une trois ou quatre des grandes métropoles du pays. Enfin, ils sont venus conquérir un mandat, puis l’autre dans une Amérique profonde avec laquelle ils n’ont aucun lien.
En outre, et c’est là l’essentiel, de plus en plus de sujets ont été purement et simplement retirés de l’espace proprement politique, pour être confiés à des « agences indépendantes ». Celles-ci prétendent n’agir que de manière technique, alors qu’en réalité, elles définissent leur propre politique. C’est le cas de la SEC (Securities and Exchange Commission), de l’Agence de protection de l’environnement, de la FED. La majorité des règlements est désormais entre leurs mains. Sous prétexte de protéger les gens, elles ont eu tendance à restreindre, voire à bloquer, certains services.
De leur côté, les Traités commerciaux empêchent le Congrès de légiférer comme autrefois en matière de tarifs douaniers et surtout de subventionner des secteurs d’activité. Les litiges sont entre les mains de Cours internationales d’arbitrage. Tout échappe au peuple et à ses représentants.
Quant à la Cour Suprême, elle a trop souvent outrepassé son rôle en se prononçant sur la peine de mort, l’avortement, le mariage homosexuel, le refus de limiter les dépenses de campagne électorale. Tant que la gauche y était majoritaire, elle avait tendance à se réjouir de ce qu’elle considérait comme des « avancées ». A présent que Trump a commencé à la garnir de conservateurs, c’est au tour de la gauche d’estimer qu’elle usurpe le pouvoir du peuple…
« Pour retrouver l’attachement de ses citoyens, notre démocratie a besoin de brider le pouvoir des élites non élues qui cherchent soit à augmenter leur influence, soit à s’en mettre plein les poches. Mais il est non moins exact que pour protéger la vie de nos concitoyens et promouvoir leur prospérité, notre démocratie a besoin d’institutions de nature élitiste__. A mon avis, ce grand dilemme qui se présente non seulement aux Etats-Unis, mais aux autres démocraties à travers le monde, devra trouver une solution, si elles ne survivront pas dans les prochaines décennies », conclut-il.
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