Comment éviter la guerre entre la puissance dominante d'une phase historique avec la puissance ascendante rivale, qui aspire à dominer la phase suivante ?
Parmi les sénarii aboutissant à une confrontation directe entre Chine et Etats-Unis, l'autonomie politique de Taïwan.
Je vous parlais hier de l’impatience que l’indépendance de fait dont jouissent les habitants de Taïwan provoque chez les dirigeants de la Chine continentale ; et des risques que cela comportait pour les relations, déjà tendues, entre Pékin et Washington.
Et voici qu’est justement publié en français, un livre qui planche sur les scénarii susceptibles d’amener au déclenchement d’une guerre entre les Etats-Unis et la Chine populaire. Et parmi ces scénarii, arrive en bonne position celui qui trouverait son origine dans une proclamation d’indépendance par la présidente de Taïwan.
Imaginez, écrit Graham Allison, dans Vers la guerre, que Pékin décide d’écraser militairement, comme il l’a fait place Tiananmen, une nouvelle révolte d’étudiants à Hong Kong. Parmi les 32 millions d’habitants de Taïwan, où le sentiment de solidarité est profond, l’émotion serait intense. Dans tout le pays, on entendrait monter un appel populaire à fermer nettement toute perspective de rattachement à la Chine communiste. Et à proclamer l’indépendance de l’île. Pour manifester son soutien à Taïwan, imaginons que le président des Etats-Unis rappelle qu’en vertu du Taiwan Relations Act de 1979, son pays est tenu de défendre Taïwan contre une invasion chinoise.
Réaction de Pékin : Xi Jinping ordonne le tir de tests de missiles de croisière et de missiles de balistiques dans le détroit qui sépare l’île démocratique rebelle de la Chine continentale. Scénario qui n’a rien d’aberrant. En 1996, la Chine a procédé pour de bon à des tirs de « missiles d’essais » dans le golfe de Taïwan, dans le but de dissuader les Taïwanais de voter pour un parti qui lui déplaisait. A l’époque, le président Clinton a envoyé illico deux porte-avions américains sur place pour signifier que son pays ne tolérerait pas que la Chine entame un blocus de l’île, terriblement dépendante de son commerce maritime. Et les dirigeants chinois de l’époque ont battu en retraite.
La Chine est devenue, en un temps record, une puissance maritime capable d'interdire la navigation en mer de Chine méridionale.
Mais c’était il y a plus de vingt ans. La puissance chinoise était loin d’équivaloir à celle des Etats-Unis. La situation a beaucoup changé en vingt-trois ans.
Aujourd’hui, la Chine est équipée de redoutables missiles anti-navires, d’une flotte de 62 sous-marins. Elle a militarisé tout un chapelet d’îlots et y a construit des pistes d’atterrissage et des radars. Elle est en mesure d’interdire aux navires de guerre américains de s’approcher à moins de 1 600 km de ses côtes si elle le décide. Et de fait, elle est en train d’éjecter progressivement la flotte américaine de la mer de Chine méridionale. Elle est parfaitement capable désormais de couler des porte-avions américains valant plusieurs milliards de dollars et transportant 5 000 marins et pilotes américains. Les Américains sont en train de tomber dans ce que l’auteur de ce livre, Graham Allison, a baptisé « le piège de Thucydide ».
Le "piège de Thucydide", une histoire qui se répète.
Ce livre, Vers la guerre, sous-titré L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide, publié aujourd’hui par les éditions Odile Jacob, a été, l’an dernier, un best-seller aux Etats-Unis. Et on comprend pourquoi. Il est informé, clair, honnête, vivant. L’auteur est, comme c’est souvent le cas, dans son pays, un universitaire de fort calibre (il a été le fondateur et le doyen de la prestigieuse Kennedy School of Government de Harvard), qui a travaillé, par ailleurs, à plusieurs reprises en tant que conseiller de plusieurs Secrétaires d’Etats ; notamment sous les présidences de Reagan, de Clinton et d’Obama. Ses informations sont de première main.
« Le piège de Thucydide », c’est Graham Allison qui a lancé cette expression. Elle est partout reprise, pour décrire la situation dans laquelle se trouve une puissance longtemps dominante, face à l’émergence d’une nouvelle puissance rivale.
Dans son fameux ouvrage « La guerre du Péloponnèse », écrit au V° siècle avant notre ère, l’Athénien Thucydide raconte le déroulement de la guerre qui opposa la confédération de cités alliées à sa propre cité, à celle qu’avait forgée sa rivale, Sparte. La montée en puissance d’Athènes, riche cité commerçante et démocratique, écrit Thucydide, ne pouvait manquer d’inquiéter les Spartiates qui considéraient leur propre cité-Etat, militarisée et gouvernée de manière autoritaire, comme vouée à la domination du monde grec.
Les dirigeants les plus avisés des deux puissances auraient bien voulu éviter une guerre, dont ils devinaient qu’elle les ruinerait mutuellement. Mais ils n’ont pu l’éviter. Certes, Sparte l’a emporté. Mais tous ont été ruinés.
Toute l’histoire mondiale, montre Graham Allison, a été rythmée par ces conflits, rarement évités entre puissance régnante et puissance émergente. Nous-mêmes, Français, qui dominions l’Europe sous Napoléon, avons été supplantés au cours du XIX° siècle, par la Grande-Bretagne, première puissance maritime de ce siècle-là. Et la Première Guerre mondiale trouve son origine dans le défi, lancé à la Grande-Bretagne sur les mers, par la flotte de guerre de Guillaume II, bien davantage que par le désir de revanche de la France.
De même aujourd’hui, la paix du monde dépend de la capacité des Américains à accepter de négocier avec la Chine un nouvel équilibre mondial.
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