

Selon certains analystes, Donald Trump n'est pas l'élément perturbateur qui a soudain fait dérailler la diplomatie américaine : au contraire, il a renoué avec une très ancienne tradition étatsunienne consistant à ne veiller qu'à ses propres affaires, et à refuser de prendre part à aucune coalition.
En arrivant à la Maison blanche, Donald Trump avait promis de renverser le cours d’une politique internationale américaine qu’il jugeait nuisible aux intérêts des Etats-Unis. Le pays qui avait imaginé l’ordre libéral international, ce tissu de traités internationaux destinés à ouvrir les frontières aux échanges de toute nature, ce même pays n’en voulait plus.
Un président hostile à la mondialisation libérale
La mondialisation libérale, dont les critiques avaient longtemps prétendu qu’elle était destinée à favoriser les intérêts américains, était ainsi récusée par Washington, au nom des emplois perdus dans l’industrie pour cause de délocalisation. Bizarrement, le président républicain et les altermondialistes se sont mis à parler un langage étrangement convergent : à bas la mondialisation libérale !
Et Trump, lui a eu les moyens de mettre ses idées en pratique. Il a montré tout le mépris qu’il concevait envers les Alliés européens en les avertissant que la garantie de sécurité américaine était aléatoire. Il a traité sur un même pied les dictateurs à la Kim Jung Un et les chefs d’Etat des nations démocratiques, comme Angela Merkel. Fini, le temps où l’Amérique prétendait répandre la démocratie à travers le monde ! Il s’est assis sur les traités commerciaux internationaux signés par ces prédécesseurs. Il a lancé contre le rival chinois une véritable guerre commerciale et technologique.
Les regrets des défenseurs de l'ordre international libéral
Les partisans de l’ordre international libéral sont indignés et furieux. Ils l’ont fait savoir à l’occasion du 75e anniversaire de l’Organisation des Nations-Unies.
Ban Ki-Moon a plaidé pour que le défi du COVID-19 soit l’occasion de relancer la coopération internationale. "La coopération, la transparence et l’adhésion à des règles et des régulations communes est le meilleur moyen de garantir la paix", a averti l’ancien secrétaire-général de l’ONU.
Josep Borrell a reconnu que les expressions telles que le "système international multilatéral", ou "l_’ordre international basé sur des règles"_ apparaissent aujourd’hui quelque peu datées. Le slogan à la mode, déplore le Haut représentant de l’UE, c’est celui des Brexiters : "reprendre le contrôle". Et cependant, insiste-t-il, "un ordre international basé sur des règles donne de la sécurité aux Etats" ; l’alternative, c’est "la force fait droit" et c’est la recette d’autrefois pour l’insécurité et les guerres.
L’Union européenne qui a échoué à se constituer en Europe-puissance, du fait de ses divisions internes, déplore le grand retour des empires et du réalisme en politique...
En cas de défaite de Trump, les choses peuvent-elles redevenir comme avant ?
Une fois Trump dégagé de la Maison blanche, comme tous les sondages l’annoncent, allons-nous renouer avec "l’ordre libéral international", sous garantie américaine, cher aux Européens ? Réintégrer le monde d’avant ? Rien n’est moins sûr selon Michael Beckley, un professeur de sciences politiques américain qui signe dans la revue Foreign Affairs de novembre prochain, une étude déjà en ligne.
L’ère de l’hégémonie libérale américaine est un artefact qui n’aura brillé que durant quelques années après la guerre froide. Michael Beckley
La thèse qu’expose Michael Beckley, c’est celle qu’a défendue récemment Peter Zeihan, dans un livre paru au début de cette année, Disunited Nations : The Scramble for Powers in an Ungoverned World. Nations désunies. La foire d’empoigne pour le pouvoir dans un monde sans gouvernance. Pour ses défenseurs, la politique extérieure de Trump n’a pas constitué une rupture avec le passé, mais un retour aux sources : la diplomatie américaine a toujours été "transactionnelle".
Trump, précurseur d'une ère d'illibéralisme américain ?
Au XXIe siècle, croit-il pouvoir annoncer, les Etats-Unis resteront la nation la plus puissante du monde, comme ils l’ont été au XXe. Mais ils ne se comporteront plus en garant de l’ordre libéral international. Le cynisme de Trump pourrait bien marquer l’entrée de son pays dans une ère nouvelle, que l’auteur qualifie d’avance de "siècle de l’illibéralisme américain".
D’abord l’histoire. On oublie que les Etats-Unis, avant de déployer des forces importantes sur les théâtres européens, à partir des années quarante, se sont toujours efforcés de se tenir à distance des zones de conflit. Ils refusaient les alliances militaires susceptibles de les entraîner automatiquement dans des conflits lointains. Mentalité insulaire. Dotés de vastes ressources naturelles et d’un marché intérieur considérable, ils se considéraient comme auto-suffisants et se protégeaient de la concurrence commerciale européenne par des droits de douane très élevés.
De ce point de vue, l’époque 1942/2009, où les Américains ont agi en pivots de vastes alliances militaires doit être considérée comme une simple parenthèse.
Depuis la fin de la guerre froide, un pourcentage croissant d’Américains refuse que leur pays dépense des centaines de milliards de dollars pour assurer la sécurité de pays lointains. En outre, leurs interventions militaires dans les Balkans, en Afghanistan, en Irak, en Libye ont été des échecs. 60 % des Américains estiment que les Etats-Unis devraient dorénavant s’occuper de leurs propres affaires. Promouvoir la démocratie ou les échanges commerciaux dans le monde ne fait plus partie des priorités. Donald Trump les a entendus.
Les Etats-Unis vont donc très probablement renouer avec leur tradition insulaire. Pas par nostalgie, mais parce qu’ils vont y être poussés par l’état du monde.
L'équipe
- Production