Oui, le pape est une puissance

Première rencontre entre le pape et le président.
Première rencontre entre le pape et le président. ©AFP - LESSANDRA TARANTINO / POOL / AFP
Première rencontre entre le pape et le président. ©AFP - LESSANDRA TARANTINO / POOL / AFP
Première rencontre entre le pape et le président. ©AFP - LESSANDRA TARANTINO / POOL / AFP
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Avec Emmanuel Macron, hier, il a été question d'Europe.

« Le pape, combien de divisions ? » a demandé un jour Joseph Staline. 

Dans son nihilisme borné, le génial petit Père des peuples de l’Eglise bolchevique universelle, passait ainsi à côté de l’essentiel. Dans le monde moderne, l’influence intellectuelle pèse autant que les chars d’assaut. Le soft power, celui qui consiste à orienter l’action de ses partenaires dans le sens qu’on souhaite, vaut bien le hard power, celui de leur tordre le bras pour les y contraindre. 

Le Vatican est une puissance. L’Eglise catholique est la seule religion du monde contemporain à entretenir un réseau diplomatique mondial. 89 pays possèdent une représentation diplomatique auprès du Vatican. Et le pape dispose, pour participer au concert des nations, de ses propres ambassadeurs, 99 nonces apostoliques. La France a son ambassade auprès du Saint-Siège, villa Bonaparte, inaugurée après la guerre par Jacques Maritain. Et, selon la règle fixée par le Vatican, cette ambassade est clairement distincte de celle accrédité auprès du gouvernement italien, située palais Farnese.  

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Au Vatican, Emmanuel Macron a rencontré un pape isolé en Italie, mais rayonnant à travers le monde.

En se rendant à Rome, hier, afin de rencontrer le pape François, Emmanuel Macron, l’homme pressé, aurait, selon des sources italiennes, trouvé le temps d'un dîner avec le premier ministre italien, Giuseppe Conte.  Ce qui n'était pas prévu dans l'emploi du temps officiel.

Qu'allait-il chercher, auprès du pape ? Un allié de revers face à un gouvernement italien, clairement passé dans le camp eurosceptique ? L’intéressé lui-même l’a démenti lorsque je lui ai posé la question. Cette visite était prévue de longue date. La demande en avait été faite par l’Elysée bien avant que les élections italiennes amènent au pouvoir ce curieux attelage de populistes de droite (la Lega) et d’ailleurs (Cinq Etoiles). On remarque pourtant que le thème européen a figuré au menu des entretiens François/Macron. Et l’attitude du gouvernement italien sur la question migratoire aura été une occasion rêvée, pour les deux hommes, de dire tout le mal qu’ils pensent du gouvernement Conte. 

Le Vatican, qui dispose, au cœur de la cité éternelle, de son propre micro-Etat, apparaît plus que souvent dans son histoire, comme isolé dans l’Italie actuelle. Mais sans doute aussi, dans l’Europe actuelle.

Un pape argentin qui n'aime guère les Européens. 

Ce pape argentin n’aime pas beaucoup les Européens. Il considère que l’Europe est une « grand-mère stérile ». Les catholiques ont toujours adoré les bébés, beaucoup de bébés. Le pape actuel préfère les pays du Sud, africains, en particulier, parce que leur démographie est vibrante ; le suicide démographique de l’Europe lui paraît témoigner d’un manque de vitalité. Sa méfiance grandissante envers l’immigration, comme un refus raciste du métissage. 

Grand voyageur, François a parcouru de long en large l’Amérique latine depuis son élection, il a été à Cuba pour faciliter le rapprochement avec les Etats-Unis. Il s’est rendu en Israël et dans les territoires palestiniens, en Corée du Sud, au Sri Lanka, aux Philippines, au Kenya, en Ouganda, en Centrafrique, en Arménie, en Géorgie, en Azerbaïdjan, en Birmanie et au Bengladesh... Mais il a fait l’impasse sur la France et l’Espagne, vieux pays de tradition catholique, alors même qu’il s’est rendu dans deux petits Etats musulmans d’Europe, l’Albanie et la Bosnie-Herzégovine. 

Comment caractériser ce pape ? Politique ? Mystique ? Exigeant ? Accommodant ?

Les papes, comme les présidents de la République française, semblent obéir à de secrets mouvements de balancier. A l’athlète de la foi, Jean-Paul II, engagé dans la bataille du siècle contre le communisme, avait succédé, un pape aristocrate de l’esprit, évoluant dans des hauteurs intellectuelles difficiles à populariser, Benoît XVI. François, le pape jésuite, est, lui, un pragmatique. Une sorte de Deng Xiao Ping du catholicisme. Qu’importent que les chats soient noirs ou blancs, disait le malicieux petit homme, ce qui importe, c’est qu’ils attrapent les souris. Esprit pratique et réaliste, près du sol et près du peuple, le pape use d’une métaphore voisine : il faut, dit-il, saisir les ballons qui passent. 

D’où, sans doute, une action diplomatique un brin cynique, tournée prioritairement vers la défense des intérêts de l’Eglise, sa liberté d’action, au détriment, parfois, des droits de l’homme, à la défense desquels s’était fortement identifié Jean-Paul II. Ainsi, le pape jésuite négocie avec le gouvernement chinois pour une libéralisation du régime des cultes. De son côté, Pékin, comme l’ont souvent fait les régimes communistes, a monté une Eglise parallèle à sa botte, pour contrer le Vatican. Le gouvernement chinois exige la reconnaissance de 7 évêques nommés par cette Eglise officielle. 

L'ouverture éventuelle d'une ambassade pontificale à Pékin signifierait la fermeture de celle de Taipei. 

Cette affaire est suivie avec beaucoup d’inquiétudes à Taïwan, l’autre Chine, où 300 000 catholiques pratiquent leur religion dans une totale liberté ; et où le vice-président, Chen Chien- jen est un catholique pratiquant. Car, on le sait, le prix exigé par Pékin pour une installation officielle d’un nonce apostolique, est la rupture des relations diplomatiques officielles avec Taipei. 

Les évêques taïwanais ont été reçus au Vatican en mai dernier. On ne sait pas quels éclaircissements le pape a pu leur donner sur le risque d’abandon qui les menace, assez peu conforme à la générosité chrétienne. L’archevêque Hung Shan-chuan s’est contenté d’observer : pour négocier, il faut partager des valeurs communes. » 

Un pape qui voit se lever contre son autorité des frondes locales. 

Un livre assez critique sur la fin du pontificat du pape François vient de paraître aux Etats-Unis. Dans To Change the Church, Ross Douthat, du New York Times, écrit que François, par son volontarisme, menace gravement l’unité de l’Eglise. Habitué à monter des structures parallèles, à n’en faire qu’à sa tête aussitôt qu’il a pris sa décision, il voit monter les frondes locales. C’est notamment le cas au Nigéria, où le pape a dû se résigner à la démission d’un évêque qui avait sa confiance, Peter Okpaleke. Et au Chili, où le soutien du pape à l’évêque Juan Barros, accusé d’avoir couvert des affaires de pédophilie, exaspère le clergé local.