Pas de démocratie sans demos

France Culture
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Pour les populistes, la démocratie libérale a fait l'impasse sur l'élément central de la démocratie : le peuple...

Le populisme, une fois de plus. Une obsession personnelle, me dire-vous...

En bientôt  huit années de chroniques quotidiennes sur cette antenne, combien en aurais-je consacrées à décrire la montée du populisme, à tenter d’en analyser les causes, à en dénoncer les effets. J’ai été le premier en France à vous parler des essayistes Jan-Werner Müller, Yascha Mounk, David Goodhart, qui ont eux-mêmes posé les termes du problème avec une longueur d’avance. C’est la vocation même de cette radio, de ne pas répéter ce que tout le monde croit savoir, ou de suivre les ornières toutes tracées, mais de pressentir l’émergence de nouvelles questions, de voir se dessiner de nouveaux clivages. 

Ai-je fatigué les auditeurs par mes mises en garde ? C’est à eux de le dire. Mais force est de constater que les contestations radicales de la démocratie libérale, qui ne constituaient qu’un phénomène exotique, éclos dans les périphéries de l’aire culturelle occidentale, comme le Venezuela ou la Turquie, ou dans des pays ne possédant pas de fortes traditions démocratiques, comme la Hongrie ou la Pologne, ont récemment atteint des démocraties parlementaires historiques, réputées pour le sens de la mesure et du compromis, comme la Grande-Bretagne du Brexit et les Etats-Unis. C’est donc en son cœur que la démocratie parlementaire et représentative est désormais atteinte. 

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Piquer un monstre à coups d'épingles...

« Piquer un monstre à coups d'épingles est vain, cela procure de médiocres satisfactions qui donnent tout au plus l'illusion d'agir__. » Voilà ce qu’écrivait le dissident polonais Czeslaw Milosz dans Lettre Internationale en 1985. Dénoncer les dérives populistes, les menaces bien réelles que ces régimes font peser sur l’état de droit, sur les libertés publiques, sur l’indépendance de la justice et des médias, indiquer les risques d’intolérance et de dictature majoritaire qu’ils comportent, nous l’avons tous fait. Mais avec les résultats paradoxaux qu’on a observés notamment lors de la campagne électorale présidentielle de 2016 : plus les médias classiques, comme le New York Times ou le Washington Post, dénonçaient les extravagances de Donald Trump, plus celui-ci apparaissait comme le candidat anti-système, et donc comme le porte-voix des « real people », des vrais gens, face à l’élite, méprisante et lointaine…

Dans Le Figaro de ce matin, Jacques Julliard pose la question fondamentale, la seule qui importe réellement : « Ce populisme qui monte est-il compatible avec la démocratie ? » 

Démocratie représentative versus démocratie populiste. 

Et la réponse qu’il y apporte met en lumière le fait que la démocratie peut inspirer deux systèmes de gouvernement bien différents. Le premier repose sur le principe de la délégation : en votant pour un représentant, nous lui confions notre parcelle de souveraineté, sur la base des engagements auxquels il a souscrit. C’est la démocratie parlementaire. Le second repose sur le principe de l’incarnation. Je cite Julliard : « le chef populiste n’est pas le délégué du peuple ; il est, de par sa personnalité, ses idées, son histoire, son discours, la matérialisation du peuple lui-même. » Il y a « transfert mystique de souveraineté. » 

La démocratie représentative met en valeur la diversité du peuple et protège les droits des minorités. La démocratie populiste privilégie l’unité du peuple, groupé autour de son chef. Si l’on suit bien Julliard, une démocratie équilibrée repose sur ces deux pieds. Après tout, De Gaulle et Churchill, pourraient parfaitement être qualifiés, aujourd’hui, de « populistes ». Ont-ils été, pour autant de mauvais démocrates ?

Face au formalisme procédural du jeu démocratique libéral, le souverainisme rappelle la dimension substantielle du demos. 

C’est exactement ce qu’écrit, dans son dernier livre, un défenseur fort pertinent du populisme, le Québécois Mathieu Bock-Côté. Dans cet essai, « L’empire du politiquement correct », qui vient de paraître aux éditions du Cerf, Bock-Côté écrit soutient que les populistes ne sont pas les ennemis de la démocratie, mais au contraire ses véritables sauveteurs. 

Les démocrates libéraux, ou « progressistes », s’attachent prioritairement à la dimension formelle du jeu démocratique. Ils ont l’obsession des normes, au point de renâcler devant la décision politique. Ils préfèrent le pilotage automatique et la gouvernance à la nécessité de répondre, dans l’urgence, à l’événement. C’est en cela que l’Union européenne apparaît comme l’exemple le plus accompli de démocratie libérale dans le monde. Les démocrates populistes, au contraire, " s’attachent, écrit-il, à la dimension substantielle de la démocratie : le peuple. " 

Le "progressisme diversitaire", machine à déconstruire les identités héritées.

Pour ce souverainiste québécois, attaché à défendre les droits à l'existence et à la continuité de son peuple - rappelons-le, ultime vestige francophone dans un continent anglo-saxon - « l’épaisseur historico-culturelle » d’un peuple est digne de respect. Car le_demos_ de la démocratie est – je cite – « toujours un peuple particulier, avec son histoire, sa culture, ses mœurs, ses institutions et ses frontières. » (p. 139) Or, les nations, en particulier les plus petites, lui paraissent menacées par la mondialisation et ce qu’il appelle « le progressisme diversitaire ». 

Dans le cadre plus général d’une modernité qui s’est emballée, une élite sociale, politique, culturelle et médiatique, réclame la déconstruction des identités héritées. Face aux résistances des peuples, elle se propose de les « rééduquer » par le biais d’une propagande qu’elle baptise  « pédagogie » et dont le Politiquement Correct serait l’instrument privilégié. 

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