La catastrophe de Smolensk a rebattu les cartes politiques, offrant une nouvelle chance aux conservateurs de PiS de fédérer les mécontentements sociaux.
La catastrophe de Smolensk, dans laquelle ont péri le président de la République et 95 personnalités de premier plan, a divisé la société polonaise.
La Pologne vient de fêter le 15° anniversaire de son adhésion à l’Union européenne. Et, en 2004, le pays « retournait en Europe », un espace culturel auquel son peuple avait le sentiment d’avoir été injustement arraché par l’occupation soviétique du pays, succédant à presque six années de terrible occupation nazie. Le 18 juin, elle célébrera aussi le trentième anniversaire des premières élections libres, celles qui lui ont permis de se débarrasser de la dictature communiste. On aime les célébrations en Pologne.
On l’a beaucoup dit sur place : le temps est venu de faire un bilan d’étape pour les deux parties. Certes, cette adhésion a métamorphosé la Pologne ; mais le pays a aussi exercé une réelle influence au sein des instances européennes. Un livre qui sort aujourd’hui aux Editions Noir sur Blanc, Hourras et désarrois, sous-titré Scène d’une guerre culturelle en Pologne, offre un caléidoscope d’images inattendues de la Pologne actuelle.
On y découvre en particulier un portrait politico-culturel du pays qui ne correspond pas vraiment à ce qu’on croyait en avoir compris à l’Ouest. Le vrai déclic, celui qui répartit les rôles dans l’espèce de guerre culturelle qui se joue là-bas, c’est l’accident, le 10 avril 2010, de l’avion présidentiel, emportant quatre-vingt quinze personnalités, chefs d’état-major, ministres, cardinaux, etc. sur l’aéroport de Smolensk, en Russie.
Smolensk a réactualisé le thème de "la Pologne martyre", abandonnée par l'Europe.
Par un tragique concours de circonstance, toutes ces personnalités se rendaient à une cérémonie commémorant l’assassinat, par le KGB, sur ordre de Staline, des officiers polonais faits prisonniers en septembre 1939, alors qu’ils refluaient devant l’offensive allemande lancée contre leur pays. Le massacre de Katyn a longtemps été attribué par les Soviétiques aux nazis, avec la complicité des Alliés. Voir le film remarquable d’ Andrzej Wajda tourné sur cet épisode marquant de l’histoire polonaise.
Cet accident, manifestement dû aux conditions météorologiques et à l’impatience du président Lech Kaczynski, fut immédiatement interprété par une partie de la population comme le résultat d’un attentat provoqué par Poutine. Comme l’écrit Dariusz Kosinski, la catastrophe de Smolensk a réactualisé, sous forme théâtrale, les modèles historiques qui structuraient l’imaginaire polonais. Tout-à-coup, ont ressurgi les mythes romantiques – celui de la « Pologne martyre », vouée aux actes sacrificiels destinés à réveiller l’Europe. Alors même que depuis le recouvrement de la souveraineté, en 1989, le pays semblait avoir renoué avec la tradition concurrente, celle du « positivisme ».
Romantisme et positivisme : deux cultures antagonistes qui ont marqué l'histoire polonaise.
Romantisme et positivisme n'ont pas exactement le sens qu'ils ont chez nous. Mais il est essentiel de comprendre le sens qu’ils ont sur place si l’on veut réaliser ce qui est en jeu en ce moment en Pologne.
Le romantisme polonais, qui triomphe en littérature dans la première moitié du XIX° siècle, avec Mickiewicz ou Slowacki, appelle aux insurrections contre les puissances qui s’étaient partagée la Pologne. Il est sans grande illusion sur la possibilité d’obtenir une issue victorieuse. Il s’agit seulement de témoigner. Les défaites sont « héroïques ».
Les positivistes, à partir du milieu du XIX° siècle, vont tirer de l’échec à répétition des insurrections contre la Russie, la conclusion qu’il faut renoncer provisoirement à l’Indépendance, mais se livrer au « travail organique » : éduquer les masses, construire des infrastructures, moderniser le pays. Ils influencent les romanciers de la fin du siècle, comme Zeromski, Wladyslaw Reymont ou Boleslaw Prus.
Toute l’histoire de la Pologne est marquée par la succession de moments romantiques et de moments positivistes.
Depuis que le pays a retrouvé sa souveraineté, le pouvoir a été occupé surtout par des libéraux "positivistes". Mais le deuil de Smolensk a réveillé les "romantiques".
Hé bien cela a été également le cas depuis trente ans. Les premiers gouvernements libéraux qui se sont succédé à Varsovie étaient dominés par des pragmatiques pro-européens, décidés à mettre les bouchées doubles pour atteindre le niveau de vie de l’Occident prospère. Des espèces de positivistes. Ils n’ont pas pris garde au coût social de leur politique. Tout le monde ne pouvait pas devenir entrepreneur et contribuer à l’enrichissement du pays, comme le réclamait les libéraux.
La catastrophe de Smolensk a réveillé le camp des romantiques, nationalistes, critiques envers une Europe de l’Ouest considérée comme décadente et oublieuse de son propre passé chrétien. Le parti Droit et Justice au pouvoir (PiS), dont le chef, Jaroslaw Kaczynski, est le frère jumeau du président disparu à Smolensk, a fédéré tous les déçus et les laissés-pour-compte de la libéralisation. C’est un parti de droite, chrétien et social.
Dans ce livre, Hourras et désarrois, Kaja Puto, nous met en garde : il ne faut pas se représenter cette guerre culturelle des deux Polognes, ainsi qu’on le fait souvent à l’Ouest, comme un conflit entre le pays des vieux et des villages et celui des jeunes et des grandes villes. Beaucoup de jeunes sont conservateurs et on a vu surtout bien des soixantenaires descendre dans la rue pour défendre l’indépendance de la justice.
L'équipe
- Production