L'exemple des EAU peut-il inspirer la politique européenne ?
"Le problème migratoire ne va pas disparaître par enchantement".
Il est question, cette semaine, dans ces chroniques, d’immigration en Europe, Au niveau de l’UE, c’est l’inertie qui prévaut. Faute de parvenir à un accord sur les principes fondamentaux d’une politique commune, les gouvernements des Etats membres se renvoient la balle.
Oui, et Ana Palacio met en garde les gouvernements : faire le gros dos et attendre que les opinions publiques se lassent du sujet et passent à autre chose serait une erreur politique. « Ne vous y trompez pas : le problème migratoire de l’Europe ne va pas disparaître par enchantement. La décrue dans les demandes d’asile en 2017, ne constitue pas, comme beaucoup le croient, un signe que le problème est réglé. Au contraire, tandis que le défi posé par l’immigration est devenu évident à beaucoup d’Européens, seulement en 2015, quand la chancelière allemande a ouvert les portes à un million de demandeurs d’asile désespérés, le problème a longtemps taraudé l’Europe du Sud et est en train de muter d’une manière dangereuse. »
A présent, ce sont des gouvernements autrefois aussi puissants que celui d’Angela Merkel qui sont fragilisés par les tiraillements à ce sujet entre CDU et CSU. En outre, le fossé entre une rhétorique d’ouverture et de solidarité et la pratique effective de certains gouvernements devient problématique. Disant cela, peut-être Mme Palacio pense-t-elle à la France…
Mais surtout, les divergences politiques entre Etats membres sont devenues tellement profondes qu’on voit mal l’UE capable d’adopter une politique commune de l’immigration. Pourtant, des progrès ont été accomplis pour partager le fardeau de l’accueil, du traitement des demandes et de l’établissement des réfugiés. L’UE contrôle mieux ses frontières maritimes.
Comme les deux professeurs d’Oxford que j’ai déjà cités, Alexander Betts et Paul Collier, Ana Palacio se prononce pour la création de « plateformes de débarquement » situés hors d’Europe, pour éviter que les candidats au droit d’asile déboutés restent sur place en tant qu’illégaux. Mais, précise-t-elle, c’est une proposition « délicate », dans la mesure où elle paraît inspirée du précédent créé par l’Australie, qui détourne systématiquement les bateaux d’immigrés vers des îles de Papouasie-Nouvelle Guinée.
Sami Mahroum : pour une émigration qualifiée, à durée limitée.
Dans un papier intitulé « Une immigration intelligente pour l’Europe », Sami Mahroum, directeur d’un laboratoire de l’INSEAD et du Groupe stratégique régional Moyen-Orient, Afrique du Nord, plaide pour une « immigration centrée sur les compétences ». L’Union européenne pourrait, en ce domaine, s’inspirer des exemples australiens, canadiens et singapouriens. Ces pays, high tec et assoiffés de nouveaux talents, délivrent des visas en fonction de leurs besoins en main-d’œuvre qualifiée.
Pour traiter intelligemment de la question des migrations internationales, conseille ce spécialiste, il faut partir des motivations des candidats à l’exil. Ce qu’ils ont en commun, dit-il, c’est d’être motivées en général par un désir d’augmentation du niveau de vie. « Bref, les migrants veulent vivre mieux – mais ne recherchent ni une nouvelle culture, ni une nouvelle identité. Les migrants économiques, en particulier, sont simplement des demandeurs d’emploi outre-mer__. Si un emploi comparable pouvait être créé chez eux, ils pourraient ne jamais émigrer. » C’est pourquoi, la meilleure des choses que pourraient faire les Européens, c’est d’aider les pays du Sud à créer les nombreux emplois nécessités par leur démographie…
Mais dans la mesure où ses moyens sont limités, l’Europe devrait, selon Sami Mahroum, faire appel à une main-d’œuvre non permanente, permettant à des personnes de venir travailler en Europe, sans s’y installer définitivement.
S'inspirer de la politique de la main-d'oeuvre des Emirats arabes unis ?
Et il conseille à l’UE de s’inspirer en cette matière de la politique suivie par les Emirats arabes unis, où des millions d’ouvriers nés à l’étranger ont trouvé des emplois. » Ils y sont venus sur la base de contrats à durée déterminée. On ne leur demande pas de s’intégrer au pays, ils ne disposent pas des droits qui vont avec la citoyenneté. Mais surtout – et là, Sami Mahroum pousse le bouchon un peu loin : ils ne bénéficient pas des prestations sociales réservées aux seuls citoyens du pays d’accueil. « Ce système, écrit-il, permet aux Emirats de donner à près de huit millions de personnes l’occasion d’améliorer leur niveau de vie, tout en évitant une réaction négative de la part de la population autochtone ».
Et pour justifier cette discrimination, Mahroum s’appuie sur un autre exemple, celui des dizaines de milliers de Français habitant à proximité de la Suisse, qui ont obtenu le droit de travailler dans ce pays, où les salaires sont les doubles des nôtres. Le Livret G leur permet de travailler en Suisse pendant une période d’un an renouvelable, pour un seul emploi et sous la condition qu’ils retournent au moins une fois par semaine à leur lieu de résidence en France. « L’UE pourrait créer sa propre « zone frontalière », permettant un système de mobilité flexible, pour les travailleurs non permanents d’Afrique et du Proche Orient. » conclut Sami Mahroum.
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