Pourquoi les innovations technologiques ne font pas redécoller la productivité ?

Ce robot remplace combien de manutentionnaires ?
Ce robot remplace combien de manutentionnaires ? ©AFP - Shuhei Yokoyama / Yomiuri / The Yomiuri Shimbun
Ce robot remplace combien de manutentionnaires ? ©AFP - Shuhei Yokoyama / Yomiuri / The Yomiuri Shimbun
Ce robot remplace combien de manutentionnaires ? ©AFP - Shuhei Yokoyama / Yomiuri / The Yomiuri Shimbun
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Des révolutions technologiques sont en cours dans de nombreux domaines. Et pourtant les économies du Nord stagnent. Simple retard à l'allumage ?

- L’apparition du smartphone a modifié nos manières de vivre, de percevoir le temps. Mais dans certains pays en développement, ces nouveaux outils ont aussi permis une augmentation spectaculaire de la productivité. En Afrique, le mobile permet d’apporter des services bancaires, médicaux et administratifs - y compris dans les zones rurales.

Oui, l’Afrique est le deuxième marché mondial pour la téléphonie. On estime que, cette année, le nombre d’abonnements au mobile sur la planète devrait dépasser les 7 milliards. Plus de la moitié ont été souscrits en Asie et en Afrique. Cela aura un impact décisif sur la croissance – déjà brillante dans des pays comme la Côte d'Ivoire, l'Éthiopie, le Mozambique, le Rwanda ou la Tanzanie. Selon les études de la Banque mondiale, une pénétration de 10 % du haut-débit dans un pays en développement se traduit par une augmentation du PIB de l’ordre de 1,4 %.

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Et pourtant, le débat fait rage en ce moment, dans les pays développés, entre techno-optimistes et techno-pessimistes. La querelle tourne autour d’un fait incontestable et difficile à expliquer : comment se fait-il que la vague d’innovations spectaculaires que nous connaissons ne se soit pas traduite par une augmentation de la productivité ?

Car la productivité, qui avait fait des bons jamais vus dans l’histoire de l’humanité entre 1850 et 1970, stagne depuis 2008. Comme si la crise financière avait brisé un des ressorts de l’enrichissement collectif de cette époque bénie. En Amérique du Nord, en Europe, la valeur ajoutée par rapport au nombre d’heures travaillées ne progresse que très faiblement. En Amérique latine, elle stagne. Le Japon a été la première économie à souffrir de cette étrange léthargie dont nul ne comprend bien l’origine et qui apparaît très difficile à combattre. Ce pays a été pourtant à la pointe de l’innovation.

Le célèbre économiste Larry Summers en a tiré la prédiction, devenue fameuse, d’une « stagnation séculaire » des économies anciennement développées. Pour cet ancien Secrétaire au Trésor de Bill Clinton et ancien président d’Harvard, nos économies avancées sont promises à plusieurs décennies de surplace économique. Nos pays font face à un sous-investissement chronique et notre main d’œuvre vieillit. Cela ne peut que plomber notre croissance potentielle.

Nouriel Roubini est un des oracles de la science économique. Sa notoriété est fondée sur le fait qu’il est l’un des rares économistes au monde à avoir prédit de manière détaillée la crise de 2008, à avoir identifié sérieusement ses causes et annoncé ses effets. Roubini fait plutôt partie des techno-sceptiques que des techno-pessimistes.

D’un côté, dit-il, nous constatons tous la très faible croissance de la productivité des économies du Nord. De l’autre, des gourous comme Erik Brynjolfsson nous disent que nous vivons une ère de progrès technique digne de celle qu’ont connue nos ancêtres lors de la révolution industrielle.

Pourtant, constate Roubini, il y a des secteurs où ces innovations promises sont bel et bien déjà en route. Et on ne les perçoit pas toujours. C’est l’énergie, avec les réseaux intelligents, les progrès extraordinaires dans les renouvelables et le stockage. Ce sont les biotechnologies, avec tout ce qu’on peut attendre des thérapies géniques et de l’utilisation des données. Ce sont, bien sûr, les technologies de l’information : création d’applications à jet continu, big data, internet des objets, intelligence artificielle. Dans le domaine de la production, c’est la robotique, l’automatisation, les imprimantes 3D. Mais on oublie souvent d’ajouter à cette liste les techniques financières, d’une part et, de l’autre, les systèmes destinés à la défense dont l’effet d’entraînement sur les autres activités peut se révéler immense.

- Et pourquoi toutes ces belles innovations ne sont-elles pas traduites par une augmentation de la production par heure de travail ?

Les pessimistes, comme Robert Gordon, nous disent : l’impact de ces innovations sur l’économie est très faible. Elle ne saurait se comparer avec ce qu’ont apporté, en leur temps, à l’industrie, le moteur à combustion interne ou l’électricité. Ni le smartphone et ses applications, avec des découvertes comme celle de l’automobile, du téléphone, de l’avion ou de la télévision.

D’autres nous jugent trop pressés. Les avancées technologiques en cours de développement ou d’application n’ont pas encore eu le temps de révolutionner le monde du travail, disent-ils. Mais elles vont se traduire par une baisse spectaculaire des coûts de production qui se répercuteront inévitablement sur les prix à la consommation. Le temps qu’une innovation produise ses effets sur la productivité peut être long, avertissent des économistes. Patience ! Le meilleur reste à venir.

En attendant, écrivent plusieurs commentateurs, les politiques ont à gérer des populations de plus en plus impatientes de voir, comme aux Etats-Unis, une minorité s’enrichir dans des proportions considérables, tandis que stagne ou s’amenuise le pouvoir d’achat de la majorité.

L’adoption des nouvelles technologies, fait remarquer Dani Rodrik, professeur à Harvard, a eu pour conséquence d’aggraver considérablement les inégalités de revenus. Elles favorisent les ultra-qualifiés, qui bénéficient des fantastiques opportunités que leur offre la mondialisation. Mais elles privent de leur emploi les peu qualifiés, victimes de cette même mondialisation. Cette « dispersion » des revenus est l’un des inconvénients du « deuxième âge de la machine », comme le reconnaissent les auteurs du livre qui porte ce titre. Si vous le voulez, Florian, nous en parlerons demain.