Loin de témoigner du retour de La Grande-Bretagne dans les affaires mondiales, la rupture avec l'UE témoigne d'une nostalgie impériale.
Et si le regain de nationalisme qui s’est emparé des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne attestait du déclin de ces deux puissances plutôt que de leur grand retour ? Et s’il entrait une part de mythe compensateur dans l’affirmation, par Trump, de la puissance américaine et dans le discours de Theresa May sur les destinées universelles de sa « Global Britain » ? C’est ce que suggérait, mercredi, Tom Whyman dans les colonnes du New York Times. Il brocardait le dessin illustrant la une du Daily Mail. On y voit une Theresa May, au bord d’une falaise de Douvres, dressant fièrement la tête vers le continent, et foulant aux pieds le drapeau de l’Union européenne ; tandis que flotte dans le ciel, au-dessus d’elle, celui de la Grande-Bretagne. L’inconscient du dessinateur a parlé, suggère encore Whyman : et si elle allait se jeter du haut de la falaise ?
Car les plans de la Première ministre sont déments, poursuit-il. Elle s’apprête à échanger l’appartenance de son pays au marché unique européen contre le contrôle de l’immigration. Soit les intérêts économiques bien concrets de la Grande-Bretagne contre les symboles d’une souveraineté sans objet. « Le Brexit est ancré dans la nostalgie de l’Empire et le mythe de l’exceptionnalisme britannique », poursuit Whyman. Car la « Grande-Bretagne mondiale » qu’elle promet, cette vision glorieuse d’un pays capable d’échanger avec le monde entier, par-dessus une Europe considérée comme une entrave, est un fantasme. Une régression, un mécanisme de défense destiné à nier la réalité du déclin d’une nation vieillissante. C’est une version à l’eau de rose de l’ancien Empire britannique sur lequel « le soleil ne se couchait jamais ».
Est-ce un hasard si le nouveau leader de l’UKIP, Paul Nuttall, se déguise en squire d’autrefois, avec veste de tweed à carreaux et casquette assortie ? Si Boris Johnson multiplie les allusions au passé glorieux de la Grande-Bretagne, continuant seule le combat face au continent européen tombé sous la botte nazie ? Les Britanniques mêlent à leur illusion mondialiste une étrange nostalgie pour la vieille Angleterre.
Cette politique, inspirée par une incapacité du pays à se projeter dans l’avenir aura, prévient l’auteur, des effets désastreux. Le fameux Royaume-Uni risque fort d’être amputé de l’Ecosse et de l’Irlande du Nord, qui ne veulent pas entendre parler de Brexit. L’économie, même si elle semble prospère aujourd’hui, va plonger lorsque le pays aura effectivement quitté l’union douanière. Les consommateurs viennent de réaliser que la pâte à tartiner Marmite, le produit le plus emblématique des tables britanniques, appartenait au Néerlandais Unilever ! Il faudra l’importer du continent. Et à quels prix ?
Mais cela n’affectera pas la cote de popularité d’un gouvernement conservateur qui entretient le pays dans l’illusion de sa grandeur. La politique anglaise semble inspirée par les images ornant une boîte de biscuits vintage, conclut-il. Les Anglais se bercent d’illusions compensatrices.
Theresa May a fait couler beaucoup d’encre en déclarant : « si vous êtes citoyen du monde, alors vous n’êtes citoyen de nulle part. » Oui, Roger Cohen, dans le même journal, le New York Times, lui a reproché de se tromper d’époque. Il écrit « la manière la plus utile d’exercer la citoyenneté ces jours-ci n’est pas de consacrer au bien-être d’une paroisse disons du Berkshire, mais à celui de la planète », allusion aux origines de la Première ministre dont le père, on s’en souvient, était pasteur.
Tout le monde n’est pas sur cette ligne. Le fameux économiste Dani Rodrik, écrit ainsi : je n’ai pas besoin de chercher loin ce qu’est un citoyen du monde ; je n’ai qu’à me regarder dans la glace. Rodrik, qui est né à Istanbul et enseigne à la prestigieuse John F Kennedy School of Government de Harvard, a la double nationalité – américaine et turque. Il vit une partie de sa vie à Londres.
Et pourtant, écrit-il, la déclaration de May contient une part de vérité essentielle. Elle met le doigt sur le mépris dont nous, l’élite financière, politique et technocratique, avons fait preuve en nous éloignant de nos compatriotes. Dont nous avons ainsi perdu la confiance. La véritable citoyenneté, poursuit Rodrik, consiste à s’impliquer dans la gestion d’affaires locales ; à délibérer au sein d’une communauté politique particulière.
Les citoyens du monde, eux, ne répondent de leurs responsabilités devant personne en particulier. « Les représentants politiques sont élus pour défendre les intérêts des citoyens qui les ont mis au pouvoir. » Et ses intérêts sont nationaux. Certes, il existe des intérêts liés au « bien commun mondial » ; ce sont ceux qui relèvent de l’environnement planétaire et des pandémies. Mais le domaine économique – que ce soit la fiscalité, la monnaie, le budget de l’Etat, ou la politique commerciale – relève de la seule responsabilité des gouvernements nationaux.
C’est pourquoi Dani Rodrik écarte l’argument d’un « manque d’esprit cosmopolite », parfois lancée contre les gouvernements qui pratiquent le protectionnisme. La science économique, dit-il, enseigne que les pays doivent maintenir leurs frontières commerciales ouvertes, faire appliquer des règles prudentielles et travailler au plein emploi. Non pas parce qu’elles sont bonnes pour les autres pays, mais parce qu’elles enrichissent le pays qui les appliquent.
Et l’économiste rappelle le personnage des Frères Karamazov de Dostoïevski qui découvre que plus il aime l’humanité en général, moins il aime les gens en particulier. Méfions-nous, écrit-il en conclusion, « _que les nobles objectifs de deviennent une excuse pour nous dérober à nos devoirs envers nos compatriote_s. »
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