Rolling Stones et musiques noires

The Rolling Stones en concert à l'Oakland Stadium en Californie - 26 juillet 1978
The Rolling Stones en concert à l'Oakland Stadium en Californie - 26 juillet 1978 ©Getty - 	Ed Perlstein
The Rolling Stones en concert à l'Oakland Stadium en Californie - 26 juillet 1978 ©Getty - Ed Perlstein
The Rolling Stones en concert à l'Oakland Stadium en Californie - 26 juillet 1978 ©Getty - Ed Perlstein
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Les Stones n'ont non seulement jamais caché ce qu'ils devaient aux grands bluesmen, idoles de leur jeunesse, mais ils ont beaucoup fait pour qu'on les redécouvre.

Depuis le début de la semaine, j'essaie d'évoquer l’étrange fascination des Rolling Stones par la musique noire américaine, et plus particulièrement pour le blues. Le blues avec lequel ils renouent, un demi-siècle après leurs débuts. Mais du côté noir, qu’a-t-on pensé des Stones ?

Un mélange d’amusement et d’irritation. On comprend pourquoi l’assassinat de Meredith Hunter, par les Hells Angels, lors du concert gratuit donné par les Rolling Stones à Altamont, en décembre 1969, a été vécue comme une bien ironique tragédie : voilà un jeune Noir isolé, venu écouter une musique noire jouée par des Blancs, poignardé à mort en plein concert par un gang qui était censé en assurer la sécurité !

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Les Stones se sont toujours défendus de tout racisme – même si une chanson comme Brown Sugar est très ambiguë – il est question du viol d’une esclave noire par son maître blanc : n’ont-ils pas œuvré à la redécouverte d’un répertoire et de musiciens quasi-inconnus en dehors des cercles de spécialistes ? Dans sa biographie, Keith Richards raconte la fameuse visite des Stones aux studios Chess de Chicago. « On entre et il y avait ce type en salopette en haut d’une échelle en train de repeindre le plafond. La peinture blanche lui dégouline sur le visage et vous savez quoi ? C’était Muddy Waters ». Manière de mettre en scène le fait que les Stones auraient tiré de la misère ces chanteurs et guitaristes de blues qui, selon l’expression, n’avaient même plus de quoi acheter des vitres pour leurs fenêtres.

Lors de leurs tournées américaines, les Stones ont toujours insisté pour que des chanteurs ou des groupes noirs assurent la première partie – comme Ike et Tina Turner et BB King, en 1969. Et lors de leur passage à l’émission de télévision Shindig, en 1965, ils ont exigé la présence de leur idole, Howlin Wolf – un parfait inconnu pour 99 % des téléspectateurs de ce show. Dans les années 80, ils ont continué à jouer avec des John Lee Hooker ou Muddy Waters, permettant à ces derniers de conquérir un nouveau public. Nombre de ces artistes ont d’ailleurs connu, en Europe, une seconde carrière parce que le public avait été initié au blues par les Rolling Stones. En outre, les Stones ont suscité un tel intérêt pour le blues que toute une pléiade d’excellents musiciens anglais se sont jetés, à leur suite dans la redécouverte d’un genre musical auquel ils ont eux-mêmes énormément apporté par la suite – qu’on pense à Eric Clapton, ou à Jimmy Page.

Quant à leur musique, même si elle s’est vite écartée du blues pour s’encanailler dans un hard rock assez poisseux, elle n’a jamais rompu avec les inflexions noires-américaines de leurs débuts. La voix de la choriste de gospel Merry Clayton est une composante essentielle d’un morceau comme Gimme shelter. Les Stones ont subi l’influence constante de cette musique – qu’on pense à Shine a light sur l’album Exit on Main Street.

Mais comme l’écrit le musicologue Jack Hamilton, dans ce livre que j’ai déjà cité, Just Around Midnight : Rock and Roll and the Racial Imagination, « l’acte même de se confronter à une musique historiquement noire, tout en gardant ses distances avec les corps noirs, allait devenir une nouvelle manière, pour les Blancs, d’affirmer leur pouvoir. » Et Hamilton d’embrayer sur un thème qui lui est cher – la transfiguration, par les Stones de la « rhétorique et du langage physique de la menace raciale » : les Rolling Stone se seraient inspirés non seulement de la musique noire, mais de la stratégie de défi des Noirs américains envers les institutions. La fameuse Une du Melody Maker, reprise par la presse du monde entier, « Laisseriez-vous votre sœur sortir avec un Rolling Stone ? » ne vous évoque rien, demande-t-il ? A l’époque, la question faisait manifestement écho à cette autre qui hantait les Etats-Unis : laisseriez-vous votre fille sortir avec un Noir ? Toutes les campagnes de dénigrement et de prohibition dont les Stones ont été l’objet en Amérique du Nord, relève-t-il, rappellent étrangement, dans leurs motivations, la rhétorique du racisme anti-Noirs : ces types-là sont mal tenus, obsédés, dégénérés, sataniques…

On écoute un autre morceau de l’album Blue & Lonesome, I goota go. Créé en 1955 par Little Walter, décédé en 1968 dans une bagarre de rue… repris par les Rolling Stones cette année.

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