La Russie, qui n'accepte plus l'indépendance proclamée par une Ukraine souveraine, s'apprête-t-elle, après avoir annexé la Crimée, à envahir son voisin du sud-ouest ? L'Europe craint que le Kremlin, à l'approche des élections législatives de septembre, ne décide une reprise des combats.
La Russie acceptera-t-elle un jour d’avoir pour voisin occidental une Ukraine indépendante, souveraine et démocratique ? Telle est la question posée par Carl Bildt, ancien premier suédois et diplomate suédois. Vladimir Poutine, qui a récemment déplacé des milliers de soldats et de matériel militaire russes en Crimée occupée et sur la fragile ligne de front du Dombass, veut-il relancer la guerre entre les deux pays ? Toute l’Europe redoute une reprise des combats, à l’initiative de la Russie.
1991, naissance de l'Ukraine indépendante
L’Union soviétique a définitivement cessé d’exister en 1991, estime Carl Bildt, lorsque l’Ukraine a proclamé son indépendance, un rêve longtemps caressé par les courants nationalistes dans ce pays. Mais durant deux décennies, la Russie semblait avoir renoncé à ses très anciennes ambitions impériale, afin de se concentrer sur la création de son propre Etat fédéral et sur la consolidation de sa son identité propre.
Tout a changé en 2012, lorsque Poutine redevint président après avoir joué les premiers ministres de Dmitri Medvedev. Il a alors embarqué son pays dans un cours révisionniste, en tentant de créer une Union eurasienne. A cette époque, l’Ukraine, tout en maintenant des liens historiques et culturels très forts avec son immense voisin, avait commencé à pencher politiquement du côté de l’Europe centrale, florissante économiquement et politiquement, contrairement à la Russie. Et l’Union européenne, tout en écartant la possibilité pour l’Ukraine d’adhérer, avait signé un traité commercial avec ce pays. Les deux partenaires ayant pris soin de ne rien décider qui soit incompatible avec le traité commercial qui liait déjà l’Ukraine à la Russie.
2014, annexion de la Crimée, échec en Ukraine
Mais Poutine ne l’entendait pas de cette oreille. Et il fit pression sur le président ukrainien de l’époque, le faible et corrompu Viktor Ianoukovytch pour que, à la dernière minute, il refuse de signer le traité avec l’Europe. C’est ce qui provoqua sa chute, lors de la Révolution de Maïdan en 2014. L’homme déchu s’enfuit alors à Moscou. Le Kremlin considérait l’Ukraine comme une nation fracturée et un Etat faible qu’il serait aisé de démolir. A ses yeux, l’Ukraine n’est pas une vraie nation, mais un pays de hasard, constitué de pièces diverses, issues du démembrement d'empires disparus. Mais il y a tant de pays dont on peut dire la même chose…
En envahissant la Crimée et en l’annexant en 2014, afin de punir les Ukrainiens d’avoir chassé Ianoukovitch, Poutine imaginait porter le coup de grâce à cet Etat à ses yeux artificiels, réunir à la Russie le sud et l’est ukrainien, ne laissant subsister qu’une "Galicie occidentale", bien trop faible résister à la volonté russe. Mais, poursuit Carl Bildt, l’opération a échoué. "Envahir les pays est rarement le bon moyen de s’y faire des amis et cette invasion-là n’a pas fait exception à la règle", écrit-il. Au lieu de diviser les Ukrainiens, le Kremlin est parvenu à les unifier comme jamais dans leur histoire. L’armée russe a dû intervenir massivement pour empêcher la déroute militaire des soi-disant séparatistes du Donbass, équipés par Moscou. Mais le conflit a fait 14 000 morts et contraint des millions d’Ukrainiens à quitter leurs foyers. Les accords signés à Minsk (en Biélorussie) ont permis une trêve, à un prix élevé pour l’Ukraine qui a dû entériner la perte de facto d’une partie importante de son territoire. A présent, la Russie, par la voix de son ministre de la Défense, reconnaît avoir massé 80 000 soldats et trois unités aériennes le long de la ligne de front, dans le but de se livrer à des "exercices militaires".
L'OTAN, soutien de l'Ukraine
Parallèlement et en accord avec la Russie, la Biélorussie masse également des forces armées importantes sur sa frontière avec l’Ukraine. Jusqu’à présent Lukashenko avait tenté de maintenir de bons contacts des deux côtés, afin de se positionner en médiateur. Il avait, en particulier, refusé de reconnaître l’annexion de la Crimée. Mais sa dictature est fragile, il a besoin de l’appui de Poutine pour empêcher son peuple de le renverser…Dans quel but ? Quel prétexte l’éternel président va-t-il invoquer cette fois ? Même si d’autres puissances parviennent à retarder l’ouverture de nouvelles hostilités entre les deux pays, la situation demeurera dangereuse tant que les dirigeants russes continueront à entretenir des illusions revanchardes. Ou bien ils se résignent à vivre avec, à leur frontière occidentale, une Ukraine souveraine et démocratique, ou bien toute l’Europe centrale va entrer dans une période de vives tensions.
L’Ukraine ne veut pas la guerre. L’Ukraine se consacre aux moyens diplomatiques de règlement du conflit. Dmyto Kuleba, ministre ukrainien des Affaires étrangères
Mais le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg a prévenu : "L’Alliance atlantique est aux côtés de l’Ukraine. Et il ne s’agit pas de simples paroles." Le Kremlin est en train de tester la détermination du nouveau président des Etats-Unis, Joe Biden. Mais avec des élections en Russie en septembre, on peut craindre que Poutine se lance dans une nouvelle et périlleuse aventure militaire pour faire grimper sa cote de popularité. Une intense offensive de propagande russe, selon laquelle ce serait l’Ukraine qui se préparerait à attaquer la Russie, fait redouter une offensive russe imminente contre ce pays. L’Europe s’honorerait à ne pas se contenter des habituelles sanctions symboliques.
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