Tendance mondiale : un lent reflux de la démocratie depuis une décennie

France Culture
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Après avoir progressé durant trois décennies, la démocratie libérale recule dans le monde. On peut le mesurer.

La démocratie est-elle démodée ? Le populisme, qui prétend remédier à la crise des partis traditionnels, va-t-il remplacer le modèle libéral et parlementaire par une autre version de la démocratie – un modèle de « démocratie illibérale », selon l’expression du politologue Fareed Zakaria ? Les régimes autoritaires s’avèrent-ils réellement, comme ils le prétendent, plus à même de protéger les peuples, du monde tel qu’il devient ? Le déclin relatif de l’Occident, qui s’est identifié à ce modèle au point de prétendre l’exporter, voire même l’imposer, va-t-il entraîner la débâcle de la démocratie elle-même ? Le recul de la démocratie libérale, à l’échelle mondiale, est-il provisoire ou traduit-il une tendance de fond ? Et d’abord comment peut-on sérieusement prétendre mesurer ce recul ?

L’une des sources les plus fiables est l’index publié tous les ans par Freedom House, cette organisation co-fondée par Eleanor Roosevelt, la femme du président des Etats-Unis, en 1941. Freedom in The World classe les 195 Etats dont il analyse les performances en trois catégories : libres, partiellement libres et pas libres du tout. Ou, si vous voulez : démocraties plus ou moins accomplies, régimes mixtes et dictatures décomplexées. Selon son dernier classement, publié en 2017, sur les 195 Etats analysés, 87 (soit 45 %) pouvaient être tenus pour « libres ». 59 (soit 30 %) pour « partiellement libres » et 49 (25 %) pour pas libres du tout. La démocratie n’est donc pas majoritaire. 

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Freedom House analyse en outre, à l’aide d’une batterie d’indicateurs, le niveau de liberté dont jouissent les citoyens de ces 195 Etats. Ce qui donne lieu à l’attribution d’une note qui va de 0 à 100. Sur cette base, la Finlande, la Suède et la Norvège obtiennent la note maximale (100 sur 100) et le Canada frise l’excellence avec 99, tandis que la Corée du Nord obtient 3 sur 100. Quant à la Russie, elle ne mérite que 20 et la Chine 15. Notre pays est noté 90, juste devant les Etats-Unis, avec 89. Mais c’était avant l’élection de Donald Trump... 

L’important, c’est l’évolution, la tendance. Est-ce qu’on peut dire qu’à l’échelle du monde, la démocratie progresse ? Ou qu’elle régresse ?

Selon Freedom House, en 2016, 67 pays ont connu un déclin des droits civils et des libertés, tandis qu’un moindre nombre d’Etats (36) ont fait des progrès dans ces domaines. Mais le plus préoccupant, selon cette organisation, c’est que 2016 aura été la 11° année consécutive où les libertés à travers le monde auront régressé, tandis qu’elles n’avaient cessé de progresser au cours des 25 années précédentes. Il y aurait donc inversion de tendance.

La revue universitaire Journal of Democracy a confié l’analyse détaillée de ces résultats à plusieurs experts. Ils divergent quant aux leçons à tirer de l’étude. Certains, comme Steven Levitsky, mettent en cause un « mythe de la récession démocratique ». Ils estiment que Freedom House a trop longtemps vécu avec l’idée que la démocratie avait vocation à s’étendre de manière spontanée. Aussi ses sondeurs ont-ils eu tendance à considérer comme « en voie de démocratisation » des pays dirigés en réalité par des régimes autocratiques. Il s’agissait de les encourager. Or, c’étaient, en réalité, des « autoritarismes fragiles ». A présent, ils sont consolidés. Mais jamais ils n’ont été réellement « en route vers le pluralisme et la liberté de presse », comme le croyaient les jurés de Freedom House. 

Pourtant, Levitsky est bien forcé d’admettre que plusieurs « démocraties nouvelles », établies dans des Etats émancipés de l’ancien empire soviétique, ont connu d’importants reculs en matière de respect de la règle de droit et de la bonne gouvernance.  C'est bien entendu le cas de la Hongrie et de la Pologne.

Trois grandes étapes dans l'expansion, puis le recul de la démocratie.

Prenant de la hauteur historique pour tenter de trouver des tendances, Marc Plattner, co-rédacteur en chef du Journal of Democracy, distingue trois grands moments. 

Selon lui, la démocratie a commencé à s’imposer comme un idéal désirable dans la période 1975-1985. Les peuples qui n’en bénéficiaient pas se sont mis alors à lutter pour l’obtenir. Nombre d’entre eux ont réalisé leur rêve au cours des années 1985-95. C’est l’époque où nombre de dictatures militaires tombent en Afrique, où la dissolution de l’Union soviétique permet à de nombreux peuples de recouvrer leur indépendance nationale et, parfois, de renouer avec un passé démocratique. Mais à partir de 1995, les progrès deviennent modestes. Et depuis une douzaine d’années, existe un indéniable repli. Mais il est si modeste qu’il peut être analysé comme une simple stagnation. 

Ces résultats sont corroborés par un autre Index, Varieties of Democracy Project. Le « V-Dem Project » attribue, tous les 5 ans, des notes à 177 pays, sur la base de rapports établis par au moins 5 experts spécialistes de chacun d’entre eux. 2 800 personnes ont participé à cette évaluation l’an dernier. Et leur conclusion va dans le même sens : le niveau général de démocratie s’est élevé de manière considérable entre 1970 et 2010. Depuis lors, il connaît un léger recul. En 2016, 13 pays ont amélioré leur score (dont la Tunisie, la Géorgie et le Sri Lanka), tandis que 21 autres (dont la Thaïlande et la Turquie) ont plongé. Mais le plus étonnant dans le classement du V-Dem Project, est le recul des Etats-Unis. Un déclin d’autant plus significatif que, là encore, il a été mesuré avant la prise de fonction de Donald Trump…

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