

Durant les semaines qui séparent les élections du 3 novembre et l’investiture officielle de Joe Biden, le 20 janvier 2021, que peut-il se passer ? Donald Trump n'ayant toujours pas admis sa défaite, l'interrègne s'annonce comme une période semée d'embûches pour le président nouvellement élu.
L’interrègne sera une période dangereuse, prévient Barry Eichengreen, professeur d’économie et de sciences politiques à Berkeley. Non seulement, Joe Biden, l’élu, et Donald Trump, le vaincu, se haïssent, mais le second n’accepte pas encore sa défaite. En outre, les politiques préconisées par ces deux dirigeants sont contradictoires. Il ne saurait donc y avoir ni continuité ni transition pacifique.
Un long et dangereux interrègne. Comme en 1932-33...
Et Eichengreen a trouvé dans l’histoire américaine un précédent : l’élection de Franklin Roosevelt en 1932, lui aussi candidat démocrate élu face à un président sortant républicain, Herbert Hoover. Là aussi, l’inimitié personnelle était vive et la rancune du vaincu, tenace.
L’interrègne de 1932-33 a été marqué par une crise qui valait bien celle du COVID-19 de notre année 2020 : une panique bancaire, qui s’est répandue, contraignit les gouverneurs des Etats à ordonner la fermeture des banques. Lorsque Roosevelt prit possession de la Maison blanche, le 4 mars, l’économie du pays était paralysée. Un quart des salariés étaient au chômage et deux millions d’Américains étaient sans abri. La colère montait dans tout le pays.
Mais Hoover était peu disposé à agir. Non seulement son idéologie personnelle lui suggérait l’abstention du gouvernement dans l’économie, mais il n’était pas mécontent de transmettre à son successeur une situation sociale bien désastreuse. Au lieu de permettre à Roosevelt d’appliquer au plus vite son propre programme, il tenta – en vain - de lui lier les mains en lui réclamant un engagement écrit sur le maintien de l’étalon-or. Le 15 février 1933, deux semaines avant son intronisation, Roosevelt faillit être assassiné par un anarchiste, alors qu’il prononçait un discours depuis le siège arrière de sa voiture décapotable, à Miami en Floride.
Trump, "canard boiteux", demeure redoutable
Et Barry Eichengreen dresse un parallèle avec la situation politique actuelle. Donald Trump est un "canard boiteux", mais il demeurera président jusqu’au 20 janvier. Le COVID a déjà tué 245 00 personnes aux Etats-Unis. Au rythme actuel, au moins 300 000 personnes y auront laissé la vie d’ici l’investiture. Mais Trump ne prendra aucune des mesures que prescrit Biden. D’abord, parce qu’il n’a cessé de sous-estimer la gravité de la pandémie, prétendant, au début, que c’était une petite grippe saisonnière et que ça allait bientôt disparaître. Mais aussi, parce qu’il est bien décidé à savonner la planche à son successeur.
De quels moyens dispose Donald Trump pour "savonner" ainsi la planche à Joe Biden ?
Le président sortant a déjà truffé, non seulement la Cour suprême, mais aussi les douze cours d’appel fédérales de juges conservateurs. Le pouvoir judiciaire est très puissant aux Etats-Unis et Biden sait d’avance que sa marge de manœuvre sera limitée. D’autant que les Républicains ont renforcé leur majorité parmi les gouverneurs des Etats et qu’on ne sait toujours pas s’ils vont perdre ou non la majorité d’un siège dont ils disposaient au Sénat.
Des résultats à atteindre avant les mid-term de 2022
Dans tous les cas, Biden va avoir besoin de prendre une série de décisions rapides, à travers des executive orders (décrets présidentiels). Il sera poussé à agir vite par les élus et les dirigeants de son propre parti.
Très inquiets devant la spectaculaire progression de Trump en voix d’une présidentielle à l’autre, beaucoup de démocrates prédisent des élections de mi-term, dans deux ans, très difficiles pour leur propre parti si les conditions de vie des Américains n’ont pas connu, d’ici-là, une rapide amélioration. Chuck Schumer, sénateur de New York et chef du groupe démocrate au Sénat, prévient dans le New York Times, "A mon avis, si nous n’obtenons pas des changements audacieux, on va se retrouver dans quatre ans avec quelqu’un d’encore pire que Donald Trump".
Un gouvernement fantôme, constitué d'experts, déjà en place
Un débat a lieu, d’ores et déjà, à ce sujet, entre centristes et progressistes. Les premiers penchent pour une politique d’apaisement qui consisterait à réparer l’essentiel de ce qui a été abîmé par Trump. Ils prônent un retour à la normale en politique, la mise en place d’un gouvernement compétent, la mise en sommeil des éléments les moins acceptables par l’Amérique profonde du programme de la gauche.
Joe Biden a déjà constitué une sorte de gouvernement fantôme : face à chaque département ministériel de l’administration Trump, il a constitué un team d’experts chargés d’étudier la situation et de proposer les premières mesures à adopter.
Quatre priorités ont été définies : contenir la pandémie de COVID-19, faire redémarrer l’économie, œuvrer à l’égalité raciale, lutter contre le réchauffement climatique.
Quant aux membres du cabinet, les premières nominations devraient intervenir pour Thanksgiving, c’est-à-dire le 26 novembre. Seraient annoncés les premiers, les responsables de la Santé et de l’Economie, contrairement à la tradition qui veut que ce soit les titulaires du Pentagone et du Département d’Etat et du Pentagone. Pour ce dernier job, une liste de titulaires possibles circule déjà : l’ambassadrice Susan Rice, le sénateur Chris Coons, Tony Blinken. Il semble beaucoup plus facile à Joe Biden d'attirer à lui que ce ne le fut pour son prédécesseur...
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