Xi Jinping, un dirigeant qui tente une synthèse impossible entre l'héritage de Mao et celui de Deng

France Culture
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Le parti communiste chinois instrumentalise le passé du pays depuis 1949, au profit des objectifs politiques de l'heure : la Longue Marche, plutôt que le Grand Bond en Avant.

- Et XI Jinping, le premier secrétaire du Parti communiste et président de la République populaire de Chine, comment le situer entre revival confucéen, Nouvelle Gauche et libéraux occidentalophiles ?

Certainement pas dans la troisième catégorie, en tous cas. Il apparaît même obsédé par ce qu’il nomme « les forces étrangères hostiles ». Peu après sa nomination au poste de secrétaire général, Xi a fait adopter en avril 2013, un « Communiqué sur l’état présent de la sphère idéologique », qui est devenu célèbre en Chine sous le nom de code « Document n° 9 ». Destiné à demeurer confidentiel, il aurait été diffusé sur internet par la journaliste Gao Yu, accusation qui lui a valu une condamnation à 7 ans de prison. Ce document met en garde contre « des idées extrêmement préjudiciables qui se répandent dans la société » à savoir « sept dangereuses valeurs occidentales ». Il s’agit en particulier de la démocratie constitutionnelle, de l’indépendance de la société civile, des valeurs universelles et des droits de l’homme, du néo-libéralisme économique, de l’indépendance de la magistrature et – je cite des « critiques nihilistes portant sur le passé traumatique du Parti communiste chinois ».

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Ainsi, les archives se rapportant au Grand Bond en Avant sont-elles désormais fermées aux chercheurs. La plupart des Chinois ne savent rien de cette initiative catastrophique de Mao Tsé Toung en 1958-60, qui a causé une famine catastrophique, responsable de la mort de 20 à 30 millions de Chinois. De même, les atrocités commises par les Gardes Rouges à l’époque de la Révolution culturelle, à la fin des années 60, font l’objet – je cite le sinologue Michel Bonnin – « d’un oubli officiel, accompagné d’un gros travail de censure qui réussit, dans une large mesure, à entraîner une très grande ignorance [du passé récent de la Chine] chez les jeunes et les personnes d’âge moyen. » « Il s’agit, écrit encore Michel Bonnin, de faire tomber la Révolution culturelle dans un trou de mémoire ».

Certains évènements capitaux de l’histoire de la Chine communiste font également l’objet d’un refoulement éclatant. C’est bien sûr le cas de la révolte des étudiants de la Place Tian’anmen de 1989. 27 ans après, le célèbre rocker Cui Jian se voir interdit de reprendre à la télévision son hit de l’époque, « Rien en mon nom », qui a servi de slogan aux manifestants d’alors.

Mais dans le même temps, Xi multiplie les références à un passé communiste mythifié. Il vient de célébrer la mémoire de la Longue Marche, le mythe maoïste fondateur, auquel son propre père a pris part. Entamée en 1934, pour échapper à l’encerclement par les armées nationalistes, cette fuite à travers la Chine a permis la victoire de 1949. Si Xi convoque ainsi le passé maoïste, c’est qu’il veut mobiliser les vertus des combattants de jadis au service d’une « nouvelle longue marche » au service des objectifs qu’il a fixés. : l’héroïsme, la force militaire, l’unité idéologique, la loyauté envers les leaders et la détermination. Quant aux objectifs, ce sont le soutien à la croissance, la lutte contre la corruption, le rétablissement d’un environnement plus sain.

- En quoi consiste cette « nouvelle Longue Marche ». Le PCC ne se sent pas « menacé d’encerclement » tout de même ?

Cette nouvelle Longue Marche est « tournée vers l’intérieur », disent les dirigeants chinois. Des « campagnes de rectification » de style maoïste visent les médias et l’Université. Ainsi, au nom de la « souveraineté numérique » de la Chine, le Parti communiste a construit un mur autour de l’internet chinois, désormais sous contrôle étroit. Ainsi les Chinois sont-ils tenus à l’écart de l’espace public mondial, sous prétexte de les soustraire aux influences étrangères. Alibaba y remplace Amazon, Baidu est le Google chinois, Sina Weibo remplace à la fois Twitter et Facebook. La liberté d’expression y connaît des limites strictes.

Comme la Russie de Poutine, la Chine de Xi Linping a ses « usines à trolls ». Le Parti communiste a, en effet, engagé une véritable « armée de l’internet », qu’on dit forte de deux millions de personnes. On appelle « le Parti des Cinq Yuans » ces patrouilleurs de l’internet, car c’est le prix auquel serait rétribuée chaque réfutation, sur la toile, de d’une critique, même voilée, visant le Parti communiste ou ses dirigeants. Les blogueurs les plus audacieux risquent des peines de prison et sont soumis à des séances publiques d’auto-critique, comme l’a appris à ses dépens le célèbre businessman sino-américain Charles Xue, qui avait 12 millions de followers.

Xi Jinping apparaît comme un dirigeant qui tente un grand écart. Entre l’héritage de Mao Tsé Toung et celui de Deng Xiao Ping, il refuse de choisir. D’où sa théorie des « deux périodes de trente ans » qu’il ne faut pas opposer l’une à l’autre. Il est défendu d’utiliser les succès évidents accomplis par la Chine depuis la mise en place d’une économie de marché et les réformes de Deng Tsiao Ping, pour incriminer les résultats désastreux de la période maoïste. Le parti communiste a toujours raison, même lorsqu’il se contredit lui-même d’une façon si évidente. Comme François Hollande, au PS, Xi Jinping est le dirigeant des synthèses impossibles. Entre Mao et Deng, entre le communisme et le confucianisme. Il se réfère à Lénine pour justifier le pouvoir sans partage du parti unique et l’obéissance de tous ses membres à la direction. A Confucius, il emprunte le concept de « société harmonieuse » et de gouvernement méritocratique.

En réalité, ce que révèle le tournant autoritaire pris par le régime depuis l’accession au pouvoir de Xi Jinping, c’est le sentiment de fragilité que ressentent les dirigeants chinois face à la baisse de la croissance et aux frustrations ressenties par de larges fractions de la population qui ne sont pas encore sortis de la pauvreté, quand d’autres se sont enrichis d’une manière extravagante. Ils veulent reprendre le contrôle d’une société qui leur échappait.