Entre circuits-courts et viande in vitro, à quoi pouvons-nous nous attendre en matière d’alimentation à l'aube de cette nouvelle année ? Quelles leçons tirer de notre manière de nous nourrir confinée et quels champs restent-ils à défricher pour s’adapter aux défis qui se posent à nous aujourd’hui ?
- Yuna Chiffoleau Agronome et directrice de recherche en sociologue à l’INRA, travaille sur les systèmes alimentaires durables
- Raphaël Haumont Enseignant-chercheur à l’université Paris XI (Faculté d’Orsay), Raphaël Haumont étudie et enseigne la physique-chimie des matériaux. Le maître mot est “ Matière ”.
Quelles leçons tirer de la façon dont nous avons mangé pendant cette étrange 2020 ? Si le premier confinement imposé par la situation sanitaire au printemps a permis aux circuits courts de se développer et aux produits bio d'occuper une place toujours plus grande dans le panier des consommateurs, la fin de l'année a également été marquée par la commercialisation à Singapour de nuggets de poulet entièrement fabriqués en laboratoire. Ces deux voies sont elles contradictoires ou complémentaires ? Est ce que l'une s'imposera à nous plus que l'autre? En d'autres termes, que mangerons-nous en 2021 ?
Raphaël Haumont, directeur de la chaire Cuisine du futur à l'Université Paris-Saclay, co-fondateur avec Thierry Marx du Centre d'innovation culinaire et co-auteur, avec Marina Carrère d'Encausse et Benoît Thevenet, de Halte aux plats industriels (éditions La Martinière).
Le fait de fabriquer en laboratoire des fibres de protéines, des tissus végétaux ou de protéines animales est déjà une une avancée scientifique. Alors après, il faut regarder les retombées, voir comment cela va être appliqué. Il faut aussi savoir que dans la viande de laboratoire, il y a besoin de réactifs de départ : des sources de carbone, d'hydrogène, d'oxygène, d'azote. D'où viennent, alors, ces réactifs ? On ne peut pas dire : "J'ai une solution pour avoir des protéines sans manger d'animaux !". Il y a bien des origines dans tous ces réactifs, et il faut regarder d'où ils viennent.
D'ici 2050, 2070, il y aura de plus en plus de part de végétal dans nos assiettes. Seulement, il faut le rendre gourmand. Parce que si vous prenez des brocolis cuits à la vapeur ou des endives à l'eau, ça ne fait pas toujours rêver. Alors que nous pouvons vraiment cuisiner le légume : on peut faire des réactions de Maillard, des caramélisations, des notes torréfiées, fumées. Cuisiner le légume est passionnant. Et nous, nous essayons de trouver la physique pour extraire au mieux les saveurs, les pigments, les vitamines, pour concentrer les goûts.
Yuna Chiffoleau, directrice de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et co-directrice de l'enquête sur nos systèmes alimentaires intitulée Manger au temps du coronavirus (éditions Apogée) :
La crise a accéléré un certain nombre de tendances, de mutations, qui étaient en cours : celles de se tourner vers des produits locaux, des produits plus naturels, une alimentation plus végétale. Alors, même si la crise a un peu mis l'écologie entre parenthèses, parce que l'on a vu réapparaître du plastique pour les emballages, des tendances de fond se sont approfondies : celles de se tourner vers les producteurs, les circuits-courts, de se reconnecter avec la nature, à rebours des tendances high-techs.
Il y a eu tout de suite une tendance autour du fait de se réapproprier son alimentation, de faire la cuisine. On a vu que ce n'était pas compliqué de râper des carottes, de cuisiner des produits basiques. Et tout ce que l'on a appris a laissé des traces. De leurs côté, les producteurs ont fait des efforts : ils ont facilité l'accès au "click and collect", au drive et aux circuits courts. Et les collectivités aident à cela. Il est donc plus facile aujourd'hui d'acheter dans ces circuits : les réflexions du premier confinement se sont inscrites dans notre quotidien.
Pour aller plus loin :
- Manger au temps du coronavirus, l'ouvrage collectif co-dirigé par Yuna Chiffoleau, Catherine Darrot et Gilles Maréchal est paru aux éditions Apogée.
- Halte aux plats industrielsest à retrouver aux éditions La Martinière
- En savoir plus sur les recherches de Yuna Chiffoleau
- Et sur le Centre français d'Innovation culinaire, co-créé par Raphaël Haumont et Thierry Marx.
- Découvrir les travaux de Raphaël Haumont dans leur ensemble
- Et la chaire Cuisine du futur de l'Université Paris-Saclay
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