Bac philo, deuxième édition ! (4/4) : Dissertation : Qu'est-ce qu'un homme seul?

France Culture
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Par Adèle Van Reeth

Réalisation: Mydia Portis-Guérin

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En partenariat avec Philosophie Magazine

Pm Bac philo HS
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Pierre Dulau
Pierre Dulau
© Radio France - VN

Qu’est-ce qu’un homme seul ?

INTRODUCTION

**a. ** Solitude comme destin même de l’homme : concept qui garde sa pertinence quels que soient les types d’existence considérés : de l’artiste à l’autiste, de l’ermite au misanthrope, du Prince au clochard, de Dieu (solitaire en sa perfection) jusqu’au damné (enfermé dans l’abandon)…**b. ** Analyse conceptuelle : entre l’inégalable et l’abandonné. Election et déréliction. La séparation de ce qui est autonome et parfait / l’abandon de ce qui est misérable et insuffisant. Un diamant solitaire / Une solitude (bien à l’abandon). [distinction qui sera utile plus tard de l’isolement et de l’esseulement]**c. ** Solitude qui par ailleurs semble contrevenir à l’essence même de l’homme : lieu commun philosophique de l’existence communautaire et politique de l’homme. L’homme aurait une vocation relationnelle : la solitude le détruit.**d. ** D’où un paradoxe : la solitude semble simultanément être la condition même de l’homme et l’obstacle qu’il doit surmonter pour ne pas succomber à la déréliction.**e. ** Problématique : sommes-nous faits pour la solitude ? La solitude est-elle bien notre destination ?

**I. ** L’homme est un être relatif et donc relationnel, un être social, politique, un être de dialogue. La solitude le défait ou le contrefait : l’humanité est impensable dans la solitude, elle ne se constitue que dans la communauté. L’homme seul est un damné ou un paria isolé. **a. ** L’être dialogique de l’homme : l’identité comme processus d’identification. Alcibiade . Dans la solitude « je » ne suis personne (Pessoa).**b. ** L’être politique de l’homme : Platon/ Aristote : sans Cité, l’homme est un moins que rien. S’il choisit la solitude l’homme se contrefait (le cynique), s’il subit la solitude, elle le défait (ostracisme). L’impasse de l’auto-télisme (autosuffisance, être à soi-même sa propre fin) qui ne convient qu’au divin (Dieu est seul à pouvoir supporter d’être All one, alone ).**c. ** L’isolement et la déréliction détruisent l’homme : Robinson, « survivre, c’est mourir » perte de la verticalité, retour à l’immanence : l’homme seul est un serpent. La relation nous exhausse jusqu’à la verticalité. Seuls, nous sombrons dans l’inhumain. **d. ** La solitude est l’enfer. L’enfer, c’est l’enfermement. Folie autistique : claustration en soi-même, solipsisme. Erasme, folie-philautie. Narcisse. L’unité pure, aucunement réfléchie dans la dualité, c’est le néant. 1=0.

Conclusion I : La solitude nous défait ou nous contrefait. Naufrage hors de l’humain. Naufrage hors de l’Etre : le chien cynique, le banni, Robinson qui végète dans les marais, le Narcisse autiste abîmé en lui-même…

TRANSITION I/II

**a. ** Distinction entre isolement et esseulement : l’être relationnel de l’homme n’abolit pas la solitude, mais il la déplace. La solitude morale commence à deux. Famille/Fête/Foule. La relation ne fait pas cesser la solitude, mais elle la transpose. La solitude la plus authentique commence dans l’existence collective c’est là où advient la souffrance que l’essentiel soit incommunicable. Le cynique s’isole pour échapper à la solitude de l’hypocrisie des convenances sociales il troque l’isolement choisi contre l’esseulement subi. C’est-à-dire : à ceux qui pensent conjurer la solitude par l’existence sociale (stratégie de diversion), le cynique répond, « c’est vous qui êtes seuls dans le groupe, moi, isolé, j’endure la vérité de notre nature » : celui qui est isolé n’est plus seul, celui qui pense ne pas être seul, est en fait celui qui l’est authentiquement. **b. ** D’autre part, c’est bien la solitude et l’isolement qui préparent la rencontre, qui ménagent la possibilité de la relation. Autrement dit, c’est d’être et de se savoir solitaire que l’homme se trouve relié. Robinson seul, peut rencontrer Vendredi. La solitude est une condition initiatique d’existence.

Donc : La solitude n’est à l’évidence pas la destination de l’homme (on ne souffrirait de rien si on ne s’attendait pas à être heureux). Mais elle est bien sa condition. Il n’est pas fait pour elle, mais par elle, pour autre chose qu’elle. Il ne peut pas la neutraliser sans s’abolir, il ne peut pas s’y installer sans disparaître.

**II. ** L’homme est fait par la solitude. Elle le révèle, l’authentifie. L’homme seul est l’individu séparé.

**a. ** La solitude est d’abord un fait ontologique : l’individuation. L’unité individuelle est séparation. Et cette séparation implique l’exigence de la relation. Bien qu’uniques, nous ne faisons pas un . Manque à être de l’individu. Alone, All one … nous ne sommes pas, individuellement, une uni-totalité, mais justement un défaut de totalité. **b. ** La solitude comme séparation est pour cette raison le moteur du désir : expérience intensifiée du manque à être. L’homme seul est l’être qui désire combler son déficit natif d’être (partition et attraction sexuelle – inauthenticité de l’individu). Tous les hommes sont dans ce cas : nous sommes tous tout seuls. C’est notre séparation qui justement nous affilie.**c. ** La solitude comme fait ontologique est la condition même de la liberté. L’homme seul est le soliste. Autonomie du jugement : stoïciens. Marc Aurèle. Le jugement seul dépend réellement de nous. Nous sommes seuls à le contrôler. Solitude comme contre-épreuve de la liberté.**d. ** La solitude permet l’authentification de la singularité, non seulement dans le jugement, mais dans les œuvres de l’individu. Baudelaire, l’Albatros . C’est à condition de solitude que l’intelligence et le génie se déploient. L’Albatros est seul, mais seul dans le Ciel. Si notre singularité nous paraît incommunicable, c’est parce qu’elle est ineffable, infinie : toujours plus riche que ce que nous pouvons en exprimer. Solitude comme contre épreuve de la personnalité.

Conclusion II : L’homme seul est celui qui éprouve sa détermination individuelle (manque à être ontologique) et personnelle (ineffable). Ce qui implique : la reconnaissance de son manque à être, mais du même coup, ce qui le pousse à s’accomplir dans son existence et à faire fructifier ses dons. L’homme ne devient ce qu’il est qu’à condition de solitude. L’exil et l’abandon natifs dans la présence rendent possible l’écriture d’une Histoire. Le caractère incommunicable de l’intimité personnelle est corrélatif de son caractère ineffable.

TRANSITION II/III

-Cependant, c’est toujours au nom d’une « communion » plus haute que le génie cherche la solitude ou l’isolement. C’est parce qu’il veut communier avec la Providence que le Stoïcien fait retraite en lui-même, c’est parce qu’il veut contempler la Nature que le promeneur devient solitaire, c’est parce qu’il veut rencontrer Dieu que l’ermite s’isole etc. Autrement dit même s’il est vrai que c’est par la solitude que l’homme accomplit ses dons, c’est toujours au nom d’autre chose que la solitude qu’il fait le choix de la solitude.

La solitude doit être conservée comme « condition », mais dépassée comme « destination ». Il doit s’y faire pour la surmonter.

-D’autre part : nous sommes tous tout seuls… C’est-à-dire que le caractère séparé de la personne advenant comme un universel affilie réellement les hommes les uns aux autres. Nous sommes seuls.

L’homme seul est l’homme qui doit se faire à la solitude pour parvenir jusqu’à autre chose qu’elle. Une fusion sans confusion.

La solitude native est souffrance que l’essentiel soit incommunicable. La solitude réalisée est joie que l’essentiel se rende communicable.

La question est alors : quelles sont les expériences qui, maintenant la solitude, permettent son dépassement rationnel ?

**III La communion comme remède rationnel à la solitude : la fusion sans confusion. L’homme doit se faire à la solitude sans s’abîmer en elle. Qu’est-ce qu’un homme seul ? Un homme qui a vocation à ne plus le rester. Celui qui sait qu’il n’est pas seul à être seul. **

**a. ** Les remèdes trompeurs. La fusion qui dissout l’individu dans l’indifférence homogène : le « nous » qui dissout le « je ».
-La séduction totalitaire

-L’amour nihiliste

**b. ** Pour que la communion soit possible, il faut que chacun des termes de la relation (les deux solitaires) consente à indexer son être à plus que lui-même. Ainsi la solitude est dépassée sans être niée. L’essentiel se communique bien, mais il ne part pas de l’individu il domine les individus.
Les quatre communions solitaires :

-La communion dialogique : le *dia * indique le franchissement de la différence et le partage de la Vérité (reprise et enrichissement du point 1 : autrui n’est le médiateur entre moi et moi-même que parce que lui-même se reconnaît indexé à un Principe supérieur).

-La communion érotique : l’amour de séparation : consentement à l’altérité au nom d’un amour et d’une Vie plus vaste. D’une Vie plus haute qui ne s’arrête pas à soi.

-La communion esthétique : affinités électives qui affilient les amis à la Beauté.

-La communion religieuse : qui affilie les fidèles au divin.

Dans tous les cas, c’est la communion qui vérifie et reflète la condition de solitude initiale sans que cette dernière abolisse l’homme. Le malheur de l’esseulement n’est conjuré qu’à deux conditions : 1. Reconnaître qu’il est universel, et 2. Reconnaître que seule une Antériorité absolue (Vérité, Vie…) permet aux hommes de se sentir affiliés et réellement reliés tout en étant personnellement distingués.

Conclusion : L’expérience de la solitude est l’expérience paradoxale d’une unité qui se sait ne pas faire un tout. D’une individualité qui se sait ne pas pouvoir honorer par elle-même ses propres conditions d’existence. Autrement dit, la solitude n’est finalement rien d’autre que le sentiment intensifié de la relativité humaine son être est d’être en défaut d’être.

L’homme seul est perdu et détruit si sa vie est finalisée par la solitude. Par contre elle est bien conditionnelle du développement de son être et épreuve d’une séparation qui révèle sa personne. Elle ne peut être abolie (sinon le relatif disparaît), mais elle peut être transfigurée dans une communion qui, affiliant les hommes à un principe qui les dépasse, les fondant en ce principe, ne les confond cependant pas (le relatif s’identifie par son indexation à un Absolu).

La façade de la librairie Kléber
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