

En 1670, on joue Bérénice de Racine. Antiochus aime Bérénice, qui aime Titus, qui aime Bérénice en retour : ces voix se concertent sur la manière de réunir le désir de l’autre, et soi-même. Sommet de la langue française, la pièce agit sur l’émotion profonde ressentie à l'écoute des mots...
Julie Brochen (metteure en scène et comédienne).
Dessin de l'illustratrice Charlotte Mo : Insta @charlottemagicmo et Portfolio
Le 21 novembre 1670, un vendredi à Paris, au théâtre de l’hôtel de Bourgogne, est jouée pour la première fois la tragédie Bérénice, de Jean Racine.
La pièce surprend, ses détracteurs disent qu’il ne s’y passe rien… Pourtant, elle est aimée, acclamée, et Racine saura s’en expliquer :
"Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie" écrit-il dans sa préface. "Il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées et que tous y ressentent de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie…"
L'invitée du jour :
Julie Brochen, metteure en scène et comédienne
Au-delà de l'amour, le désir
Ce que je trouve incroyable dans la pièce, c’est qu’elle ne parle pas de la passion amoureuse ou du sentiment amoureux, ça parle du désir, Bérénice peut prendre toutes les formes, elle est l’émanation de la grâce, elle est aussi l’Orient, elle est l’étrangère, c’est elle qu’on désire, c’est elle qui désire, c’est elle qui met en échec l’ordre et le pouvoir établi de Titus.
Julie Brochen
"Bérénice" nous fait rentrer dans le vers de Racine
"Bérénice" est un sommet de la langue française, un absolu de beauté poétique qui nous fait rentrer dans le vers de Racine. Le trouble, l’accès à l’émotion, c’est le coeur de la pièce, on est chamboulé, changé par le rapport des vers entre eux et ces présences qui sont comme des planètes et qui créent organiquement un monde d’une sensualité absolue et qui parlent de l’impossible désir à conduire l’essentiel... Le désir permet tout, c’est la vie même.
Julie Brochen
La parole, un aveu d'identité
Je crois que la parole, la poésie, la culture, est le seul échange qui nous reste et peut pacifier, fait de nous des citoyens ouverts à toutes les cultures du monde. Il y a quelque chose avec cette pièce, avec la parole, comme si nos poumons s’ouvraient à l’air, ses vers s’impriment dans la chair. Antiochus dit : "parler c’est assez nous contraindre". Comme si l’impossibilité de la parole était le moteur même de cette parole, cet aveu d’être à l’autre essentiel, un aveu d’identité de soi…
Julie Brochen
Sons diffusés :
- Chanson de Oum Kalthoum, Arouh Le min
- Extraits de Bérénice, pièce enregistrée à la Comédie-Française le 15 mai 1956, mise en scène par Maurice Escande
- Musique de fin : Élégie de Jules Massenet, chantée par Feodor Chaliapine
L'équipe
