Camus, ou consentir pour mieux se révolter : en quoi le consentement s'oppose-t-il à la résignation ?
- Marylin Maeso Philosophe et essayiste
Dire oui pour mieux dire non, consentir pour mieux se révolter : c'est une façon de décrire la philosophie d'Albert Camus. Cette dernière nous accompagne dans ce dernier volet de la série des Chemins de la philosophie portant sur le consentement.
Si l'absurde est un événement qui fait de nous des êtres complètement démunis face à la perspective de la mort, comment revenir à la vie et au monde ? Marylin Maeso, enseignante en philosophie, vous raconte cette convalescence et cette renaissance telle que l'a voulue l'intuition camusienne : sous les auspices de la révolte et de l'amour.
Le oui chez Camus c'est d'abord un consentement au monde. C'est à la fois une évidence et une lutte. Marylin Maeso
Camus distingue consentement et résignation : "Le oui chez Camus est d'abord un oui à la vie. Et il dit également que vivre, ce n'est pas se résigner. Le consentement, chez Camus, est lié à la capacité de renoncer à l'espoir. La résignation est une forme de défaitisme, c'est une passion négative. Quand on espère, on est dans l'attente d'autre chose que ce qui est, c'est un sentiment délétère." Marylin Maeso
Le texte du jour
« Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce « non » ?
Il signifie, par exemple, « les choses ont trop duré », « jusque-là oui, au-delà non », « vous allez trop loin », et encore, « il y a une limite que vous ne dépasserez pas ». En somme, ce non affirme l’existence d’une frontière. On retrouve la même idée de limite dans ce sentiment du révolté que l’autre « exagère », qu’il étend son droit au-delà d’une frontière à partir de laquelle un autre droit lui fait face et le limite. Ainsi, le mouvement de révolte s’appuie, en même temps, sur le refus catégorique d’une intrusion jugée intolérable et sur la certitude confuse d’un bon droit, plus exactement l’impression, chez le révolté, qu’il est « en droit de… ». La révolte ne va pas sans le sentiment d’avoir soi-même, en quelque façon, et quelque part, raison. C’est en cela que l’esclave révolté dit à la fois oui et non. Il affirme, en même temps que la frontière, tout ce qu’il soupçonne et veut préserver en deçà de la frontière. Il démontre, avec entêtement, qu’il y a en lui quelque chose qui « vaut la peine de… », qui demande qu’on y prenne garde.
(…) En même temps que la répulsion à l’égard de l’intrus, il y a dans toute révolte une adhésion à part entière et instantanée de l’homme à une certaine part de lui-même. Il fait donc intervenir implicitement un jugement de valeur, et si peu gratuit, qu’il le maintient au milieu des périls. (…) Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous le fouet du maître. Le voilà qui fait face. Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne l’est pas. Toute valeur n’entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur. »
Camus, L’homme révolté (Gallimard), p 25-26
Lectures
Camus, l’Etranger (Gallimard), p 185-186
Camus, L’homme révolté (Gallimard), p 25-26
Extraits
Archive : Maria Casarès sur Camus (émission « Albert Camus ou l’impossible étreinte » 04/08/1985)
Archive : Camus et Sartre, des positions « parfaitement opposées » Conférence de presse du 09/12/ 1957
Références musicales
Neil Young, There’s a World
Leos Janacek, Par les sentiers broussailleux, sonate en mi bémol
Au Ptit Bonheur, J’veux du soleil (Le mal de vivre, 1992)
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