Épisode 75/82 : Céline Spector : "Le siècle des Lumières fait souffler un vent de liberté sur la philosophie"

Etre philosophe, est-ce un métier ? est-ce une vocation ? Comment se fabrique un concept ? Et quel est le rôle du philosophe dans la cité ?

L'invitée du jour :

Céline Spector, philosophe, professeure à l’UFR de Philosophie de Sorbonne Université

Les Lumières pour comprendre le contemporain

La thématique de la liberté des Modernes est importante à mes yeux, savoir ce que peut être un ordre politique pour eux, étant donné l’importance que prend progressivement l’économie politique, la logique de l’intérêt et toutes ces thématiques m’ont d’emblée paru fondamentales pour comprendre le contemporain, et j’ai voulu prendre de la distance, je suis hostile au présentisme, il me semble que dans les Lumières il y a, avant la Révolution française, un certain nombre d’explosions théoriques, de spéculations indispensables pour comprendre ce que nous vivons. Une approche généalogique est essentielle, que ce soit sur la question du libéralisme politique ou économique, que ce soit sur la question de l’esclavage, sur la question de la justice, il y a dans les Lumières des ressources théoriques essentielles.                
Céline Spector

Transmettre le génie

Ce que j’essaie de transmettre à mes étudiants c’est le plaisir de la lecture des grands textes, j’aime transmettre l’enthousiasme pour le génie, ça veut dire retrouver l’originalité, la liberté de penser qui préside à l’écriture des grands textes, mais aussi tenter d’avoir une approche rigoureuse de l’éxègèse.                
Céline Spector

Vent de liberté sur les savoirs non cloisonnés

Ce qui m’a séduite dans les Lumières françaises, c’est le refus d’un cloisonnement disciplinaire, la naissance de la philosophie universitaire est plus tardive, c’est après la Révolution et au 19ème siècle, et avant ce moment-là on est dans cette extraordinaire période où la philosophie ne s’enseigne pas dans les universités en France, on a un foisonnement d’auteurs qui sont à la fois philosophes, dramaturges, poètes… ce moment où les savoirs ne sont pas encore cloisonnés fait souffler un vent de liberté, cela donne des effets sur la philosophie.                
Céline Spector

Montesquieu, "L’esprit des lois", chapitre

On entend dire tous les jours qu’il serait bon que parmi nous il y eût des esclaves.  
Mais, pour bien juger de ceci, il ne faut pas examiner s’ils seraient utiles à la petite partie riche et voluptueuse de chaque nation ; sans doute qu’il lui seraient utiles ; mais, prenant un autre point de vue,  je ne crois pas que d’aucun de ceux qui la composent voulût tirer au sort pour savoir qui devrait former la partie de la nation qui serait libre, et celle qui serait esclave. Ceux qui parlent le plus pour l’esclavage l’auraient le plus en horreur et les hommes les plus misérables en auraient horreur de même. Le cri de l’esclavage est donc le cri du luxe et de la volupté, et non pas celui de l’amour de la félicité publique. Qui peut douter que chaque homme, en particulier, ne fût très content d’être le maître des biens, de l’honneur et de la vie des autres ; et que toutes ses passions ne se réveillassent d’abord à cette idée ? Dans ces choses, voulez-vous savoir si les désirs de chacun sont légitimes, examinez les désirs de tous.  
Montesquieu

Sons diffusés :

• Les Noces de Figaro, opéra de Mozart (composé en 1785-1786), Air de Barberine, L’ho perduta me meschina (Acte IV), interprété par l’Orchestre du Mozarteum de Salzbourg
• Témoignage de Géraldine Mosna-Savoye
• Archive de Catherine Larrère aux Rencontres de Sophie, 7-9 février 2020, Nantes
• Bande annonce du film La règle du jeu, film de Jean Renoir, 1939
• Archive d'Etienne Balibar, 7 avril 2016, France 24
• Archive de Didier Deleule, 7 mars 2016, Les Chemins de la philosophie, France Culture