Le roman épistolaire de Choderlos de Laclos, classique de la littérature libertine, réunit tous les éléments d’une œuvre sulfureuse et indécente, qui continue de nourrir l’imaginaire des lecteurs.
- Catriona Seth Professeur à l'université d'Oxford et à l'université de Lorraine
Peut-on croire Laclos, qui écrit dans sa préface aux Liaisons dangereuses que ce roman possède une portée morale ? Quand le lecteur se fait voyeur, et même complice des stratagèmes des libertins, que reste-t-il de la décence ? Est-ce la raison pour laquelle cet ouvrage continue de fasciner les lecteurs contemporains ? Ou faut-il envisager son actualité à travers les thèmes qu'il traite : manipulation, séduction, enjeu de pouvoir ? Catriona Seth nous livre aujourd'hui les clefs de ce roman qui n'en manque pas.
Le texte du jour
« Revenez, mon cher Vicomte, revenez : que faites-vous, que pouvez-vous faire chez une vieille tante dont tous les biens vous sont substitués ? Partez sur-le-champ ; j’ai besoin de vous. Il m’est venu une excellente idée, et je veux bien vous en confier l’exécution. Ce peu de mots devrait suffire ; et, trop honoré de mon choix, vous devriez venir avec empressement prendre mes ordres à genoux ; mais vous abusez de mes bontés, même depuis que vous n’en usez plus ; et dans l’alternative d’une haine éternelle ou d’une excessive indulgence, votre bonheur veut que ma bonté l’emporte. Je veux donc bien vous instruire de mes projets : mais jurez-moi qu’en fidèle Chevalier, vous ne courrez aucune aventure que vous n’ayez mis celle-ci à fin : elle est digne d’un héros : vous servirez l’amour et la vengeance ; ce sera enfin une rouerie de plus à mettre dans vos Mémoires : oui, dans vos Mémoires, car je veux qu’ils soient imprimés un jour, et je me charge de les écrire. Mais laissons cela, et revenons à ce qui m’occupe.
Mme de Volanges marie sa fille : c’est encore un secret ; mais elle m’en a fait part hier. Et qui croyez-vous qu’elle ait choisi pour gendre ? Le Comte Gercourt. Qui m’aurait dit que je deviendrais la cousine de Gercourt ? J’en suis dans une fureur… Eh bien ! Vous ne devinez pas encore ? Oh ! L’esprit lourd ! Lui avez-vous donc pardonné l’aventure de l’Intendante ? Et moi, n’ai-je pas encore plus à me plaindre de lui, monstre que vous êtes ? Mais je m’apaise, et l’espoir de me venger rassérène mon âme.
Vous avez été ennuyé cent fois, ainsi que moi, de l’importance que met Gercourt à la femme qu’il aura, et de la sotte présomption qui lui fait croire qu’il évitera le sort inévitable. Vous connaissez ses ridicules préventions pour les éducations cloîtrées et son préjugé plus ridicule encore, en faveur de la retenue des blondes. En effet, je gagerais que, malgré les soixante milles livres de rente de la petite Volanges, il n’aurait jamais fait ce mariage, si elle eût été brune, ou si elle n’eût pas été au Couvent. Prouvons-lui donc qu’il n’est qu’un sot : il le sera sans doute un jour ; ce n’est pas là qui m’embarrasse : mais le plaisant serait qu’il débutât par là. Comme nous nous amuserions le lendemain en l’entendant se vanter ! Car il se vantera ; et puis, si une fois vous formez cette petite fille, il y aura bien du malheur si le Gercourt ne devient pas, comme un autre, la fable de Paris. »
Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses
Lectures
- Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses (Gallimard, 1972)
Extraits
- Les Boloss des belles lettres, de Quentin Leclerc et Michel Pimpant (France 5, 2016)
- Les liaisons dangereuses de Roger Vadim (1960)
Références musicales
- Nyman, The disposition of the linen
- Christopher Slaski, The pianotum
- Nyman, Chasing sheep is best left to sheperds
- Serge Gainsbourg, La recette de l’amour
L'équipe
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