Pourquoi Descartes, dans son "Discours de la méthode", en 1637, nous invite-t-il à nous rendre comme maître et possesseur de la nature ? Aujourd’hui, ces mots sonnent comme un projet anti-écologique, mais ils furent aussi considérés comme le manifeste de la démesure moderne. Qu'en est-il vraiment ?
- Marie-Frédérique Pellegrin maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches à la faculté de philosophie de l’Université de Lyon
Pendant ses années d'études, le jeune René Descartes rêve d'une science qui proposerait à l'homme des fins à suivre. Et c'est en rêve, justement, des années plus tard, lors d'une nuit d'enthousiasme, qu'il découvre "les fondements d'une science admirable". Quelques temps plus tard, en 1637, il publie le Discours de la méthode, dans lequel il expose le chemin à suivre pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences.
Ce petit morceau de phrase, “Se rendre comme maître et possesseur de la nature”, se trouve à la fin du Discours, et énonce le programme à suivre tant recherché par Descartes, et si mal compris par nous autres lecteurs des XXe et XXIe siècles...
L'invitée du jour
Marie-Frédérique Pellegrin, maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches à la faculté de philosophie de l’Université de Lyon
Un manifeste de la démesure moderne
Cette phrase est devenue le manifeste de la démesure humaine moderne, de l’ubris, un concept qui remonte à l’Antiquité, mais dans sa version moderne, liée au progrès technologique. Alors que pour Descartes, elle exprimait un rêve de libération de l’homme de l'emprise d’explications magiques de la nature, de voir enfin arriver le règne de l’homme qui allait pouvoir avoir une maîtrise de son environnement. Qu’est-ce que la maîtrise, la possession de la nature ? Ce que Descartes veut dire c’est que l’on a démystifié la nature, elle n’est plus une entité puissante, opposée à l’homme. Cette formule marque le passage de la Mère Nature aux lois de la nature, accessibles à l’entendement humain. Pour Descartes, loin d'être l'énoncé angoissant que l'on y entend aujourd'hui, c'est au contraire rassurant, c'est le fondement d’une science admirable qui doit permettre de tout comprendre du réel et qui va guider toute sa démarche philosophique.
Marie-Frédérique Pellegrin
Démystifier la nature
La phrase de Descartes se situe dans une ambiance générale, c’est enfin le règne de l’homme, qui, par les arts mécaniques, pourra maîtriser l’environnement. L’ambiance de l’époque est heureuse, on ne subit plus, et là prend place cet extraordinaire petit morceau de phrase... on tombe dans la démesure : on va posséder la nature elle-même ? Ça a quelque chose de libérateur puis d’angoissant. Mais quand Descartes dit “Se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature”, cela veut dire en réalité qu’on a démystifié la nature elle-même, la science moderne fait s’évanouir l’idée de nature…
Marie-Frédérique Pellegrin
Textes lus par Bernard Gabay :
- Extrait du Discours de la méthode, de René Descartes, 6ème partie, éditions La Pléiade
- Extrait de Lettre à Morus (le philosophe anglais Henry More), de René Descartes, 5 février 1649, éditions La Pléiade
Sons diffusés :
- Chanson des Daft Punk, Harder Better Faster
- Lecture de la Genèse, 1:24 à 1:28, La Bible, par Jean-Pierre Michaël, éditions Frémeaux (avec une musique de Edward Elgar, The Wand of Youth)
- Extrait du film La maladie de Sachs, de Michel Delville, 1999
- Chanson de Champion Jack Dupree, I’m a doctor for women
Cette émission a été diffusée pour la première fois le 24/02/2021
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