

De quelle façon le management n'est-il pas seulement un ensemble de pratiques, mais aussi un ensemble de discours ? Comment ce discours utilisé en entreprise reflète-t-il et influence-t-il la manière dont le travail est organisé et conceptualisé ? Comment résister au langage managérial ?
- Luca Paltrinieri maître de conférences en philosophie politique, philosophie des sciences humaines et sociales à l’Université de Rennes 1
Avec le langage, il peut se produire ce phénomène : tout à coup, un mot nous saute aux oreilles, il nous choque, il nous interpelle, nous séduit ou nous agace.
Ce n'est pas seulement qu'on apprend l'existence d'un terme comme on apprend une définition, c'est qu'on se projette d'emblée dans son usage sans savoir précisément comment on l'utilisera.
La langue managériale ne déroge pas à ce phénomène : à ceci près qu'entendre ses éléments de langage nous projette d'emblée dans un rejet.
Je ne serai jamais cette personne qui dira "feed-back", "conf-call", "N+1", ou encore "propal"... jusqu'au jour où, sans crier gare, je suis soudain devenue cette personne qui dit "feed-back", "conf-call", "N+1", ou encore "propal"...
Peut-on échapper à cette culture d'entreprise ou sommes-nous voués à devenir des auto-entrepreneurs ?
L'invité du jour :
Luca Paltrinieri, philosophe et maître de conférence en philosophie politique et philosophie des sciences humaines et sociales à l’université de Rennes 1
Discours plutôt que langage
Foucault définissait le discours comme la différence entre ce que l'on pourrait dire et ce qui est effectivement dit, c'est à dire qu'en fait le discours définit un champ des possibles, un champ des séquences qu'on peut effectivement formuler à un moment historique précis, à la différence du langage qui existe comme un système presque intemporel, le discours existe comme une séquence historique qui a une finalité précise, productive, et informative.
Luca Paltrinieri
La novlangue pour transformer la pensée
On a beaucoup parlé de "novlangue managériale" parce que dans les domaines du management, dans les domaines de la pratique de la direction en entreprise, il y a une invention linguistique permanente qui va de soi avec l'impératif d'innovation qu'il y a aujourd'hui dans les entreprises, dans l'économie en général, qui avance par l'innovation, et l'innovation linguistique fait partie de ce langage managérial qui devient une novlangue. Et derrière l'expression de novlangue qui se réfère au roman d'Orwell "1984", il y a cette impression d'un langage imposé, totalitaire, qui nous habite. L'idée fondamentale de la novlangue, c'était que on ne peut pas penser sans mot. On pense à travers des mots, on pense à travers des concepts qui sont des mots en situation. Du coup, en transformant le langage, on peut aussi transformer la pensée.
Luca Paltrinieri
Textes lus par Bernard Gabay :
- Sandra Lucbert, Personne ne sort les fusils, chapitre 11, éditions Seuil, 2020 (avec une musique de Haiku Salut, Le mécano de la General Finish)
- André Gorz, L’immatériel : connaissance, valeur et capital, Partie I “Le travail immatériel", chapitre “Travailler, c’est se produire”, éditions Galilée, 2003 (avec une musique de Haiku Salut, Le mécano de la General Finish)
Sons diffusés :
- Extraits du film Les 2 Alfred, de Bruno Podalydès, 2021
- Extrait de la série Emily in Paris, de Darren Star, saison 1, épisode 1, 2020
- Musique de Gilb'R, L'inconscient rebel
- Archive de Michel Foucault, 2 mai 1969, dans Sciences et techniques
- Extrait de l'émission de télévision Message à caractère informatif
- Discours de Macron aux préfets, archive du 5 septembre 2017
- Chanson de fin : Les Charlots, Merci patron
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