La couleur éloquente de la peinture : épisode 3/4 du podcast De la couleur !

"Composition VI", Vassily Kandinsky (1866-1944).
"Composition VI", Vassily Kandinsky (1866-1944). ©Getty - DEA / E. LESSING
"Composition VI", Vassily Kandinsky (1866-1944). ©Getty - DEA / E. LESSING
"Composition VI", Vassily Kandinsky (1866-1944). ©Getty - DEA / E. LESSING
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Comment laisser être la peinture, comment être réceptif au sens qui émane d'un petit pan de mur jaune, sans la réduire au mode d'expression du langage verbal ? La peinture est éloquente, mais elle parle sans les mots ; et le sens des couleurs, avons-nous les moyens de la comprendre ?

Avec
  • Jacqueline Lichtenstein Philosophe, professeur des Universités, Directrice de l'UFR de Philosophie-Sociologie à la Sorbonne et responsable de la spécialité Esthétique et philosophie de l'art

La couleur n'est pas un cosmétique. Elle ne cache ni ne recouvre rien. La matière peut être son support, mais le rouge subsiste même lorsque l'on ferme les yeux. Dans la peinture, la couleur sur la toile ne reproduit pas quelque chose, elle offre une nouvelle image de ce qui, avant elle, n'était pas. C'est un fard, sans visage à masquer. 

Les débats sur la couleur dans la peinture

Il est question dans cette émission de l'opposition entre une forme de langage construit - la sémantique -, et la couleur, qui ferait sens sans passer par le langage. La philosophe et professeure d'esthétique Jacqueline Lichtenstein nous rappelle ici qu'il s'agit d'un conflit théorique, et non pas pictural, au sens où il n'est pas porté par les peintres eux-mêmes. Cette distinction a été théorisée en Italie à la Renaissance, avec l'opposition entre disegno (le dessin, mais aussi le dessein) et colore (la couleur). Ce débat ne se comprend pas si l'on ne le replace pas dans le contexte historique de l'époque : ce que les défenseurs du dessin reprochent à ceux qui mettent en avant la couleur est en fait de mettre en danger au statut artistique de la peinture, qui avait depuis peu atteint un rang d'art noble.

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Toujours est-il que la peinture, depuis Platon, est souvent considérée par les philosophes comme trompeuse et dangereuse en tant qu'elle n'est qu'apparence, et nous éloigne donc de la vérité. Pour les détenteurs de la couleur au contraire, celle-ci est à mettre en avant car elle n'est plus considérée selon le critère de la vérité, mais selon celui du sens, voire du plaisir. 

Jacqueline Lichtenstein insiste par ailleurs sur le caractère double et paradoxal des couleurs dans la peinture : d'une part, elles offrent une possibilité infinie de combinaisons, et sont donc le lieu d'une création sans fin pour l'artiste ; mais d'autre part, et elles sont toujours un poids et une contrainte pour l'artiste, qui n'a pas le choix que d'utiliser de la couleur pour peindre. Huysmans l'avait bien compris, qui déclarait :

De la même manière que l'écrivain, le peintre doit forger des néologismes de couleurs.

En savoir plus : Le rouge
Hors-champs
44 min

De l'éloquence de la couleur

La couleur semble nous conduire dans un domaine qui ne ressemble à rien de nommable. S'inspirant de Francis Ponge qui déclarait que "nous sommes les otages du monde muet", Jacqueline Lichtenstein s'interroge ainsi :

Comment parler de ce qui est sensible, purement matériel, donc de ce qui échappe à toute distinction et classification, de ce qui relève du silence ?

Pourtant, la couleur fait sens.

Par ailleurs, même si la couleur constitue une forme autre et propre de communication, on peut quand même toujours essayer de s'en saisir par le langage sémantique - notamment par la littérature et la poésie, selon Jacqueline Lichtenstein. D'après la philosophe, c'est d'ailleurs le propre de la couleur que d'être un objet dont peuvent traiter tous types de disciplines :

La couleur est sans doute de tous les objets picturaux celui qui relève le plus d'une approche multidipliscinaire : le physicien, le chimiste, le restaurateur, l'historien de l'art, le philosophe, l'astrophysicien, l'ingénieur ont tous quelque chose à dire sur la couleur.

En savoir plus : Le noir
Hors-champs
44 min

Par Adèle Van Reeth. Réalisation : Nicolas Berger. Lectures : Georges Claisse. Prise de son : Ludovic Auger.

Lectures :

  • Chardin, Diderot
  • Méditations métaphysiques, I , de "Supposons donc..." à "…être véritables ?", Descartes

Extraits audio :

  • La Belle Noiseuse, Jacques Rivette
  • Entretien avec Soulages (07/05/1970)
  • Entretien avec Jean Messagier dans "Euphonia", France Culture (01/07/1991)

Musiques :

  • Paint it black, Africa
  • Le peintre perdu, Charles Trénet
  • La pêche au poisson rouge, Gilles Ballet
  • Concerto pour violon, hautbois, 3 violes all inglese, Antonio Vivaldi
  • Blue period Picasso, Peter Bjorn and John