Pourquoi monte-t-on ? Et, question plus difficile encore, pourquoi redescendons-nous ? Qu'y a-t-il derrière le monde silencieux, indifférent, inhospitalier et pourtant toujours fascinant des pics enneigés et des glaciers ?
- Michel Malherbe Professeur émérite, a enseigné la philosophie à l'Université de Nantes.
De l'esprit de conquête et d'exploration des premiers alpinistes jusqu'à la contemplation apaisée de ce que les choses du monde sont sans nous, promenade aujourd'hui dans l'univers lunaire de la haute montagne - en compagnie du philosophe (et montagnard) Michel Malherbe, auteur du très recommandable "D'un pas de philosophe" (2012, Vrin).
Le texte du jour
« Nul souffle n’effleurait les arbres, ne fût-ce que le plus légèrement du monde, il n’y avait pas un murmure, pas une voix d’oiseau. C’était le silence éternel que Hans Castorp épiait lorsqu’il restait debout ainsi, appuyé sur son bâton, la tête inclinée sur l’épaule, la bouche ouverte ; et doucement, sans arrêt, la neige continuait de tomber, de tomber tranquillement, sans un bruit.
Non, ce monde, en son silence insondable, n’avait rien d’hospitalier; il admettait le visiteur à ses risques et périls, il ne l’accueillait pas, en somme, il tolérait son intrusion, sa présence d’une manière peu rassurante, sans répondre de rien, et c’était l’impression d’une menace muette et élémentaire, non pas même d’une hostilité, mais d’une indifférence meurtrière qui s’en dégageait. L’enfant de la civilisation, étranger de formation et par ses origines à cette nature sauvage, est plus sensible à sa grandeur que son rude fils, qui a dû compter avec elle dès son enfance et qui vit avec elle sur un pied de familiarité banale et calme. Ce dernier connaît à peine la crainte religieuse avec laquelle l’autre, fronçant les sourcils, affronte la nature, crainte qui influe sur tous ses rapports intimes avec elle, et entretient constamment dans son âme une sorte de bouleversement religieux et une émotion inquiète. Hans Castorp, dans son chandail en poil de chameau à longues manches, dans ses bandes molletières et sur ses skis de luxe, se sentait fort téméraire d’épier ainsi ce silence originel de la nature sauvage et silencieusement meurtrière de l’hiver, et l’impression de soulagement qu’il éprouvait, lorsque, sur le chemin du retour, les premières habitations humaines reparaissaient à travers l’atmosphère voilée, lui faisait prendre conscience de son état d’esprit précédent et l’instruisait de ce que, des heures durant, une terreur secrète et sacrée avait dominé son cœur. »
- Thomas Mann, La Montagne magique, 1924, traduction Maurice Betz, (Le Livre de Poche, 1995), p.686
Lectures
- Thomas Mann, La Montagne magique, 1924, traduction Maurice Betz, (Le Livre de Poche, 1995), p.686.
- Edward Whymper, Escalades dans les Alpes de 1860 à 1869, traduction française par Adolphe Joanne, Paris 1873, p. III-IV [Gallica]
Extraits
- Archive : Maurice Herzog (source : Nonobstant du 27/11/2007)
- Luis Lachenal, documentaire Victoire sur l’Anapurna, (1950)
Références musicales
- Camille, Vertige
- Penguin Cafe Orchestra, A matter of life
- Nick Grey, Heart of the glacier
- Radiohead, Steps
L'équipe
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