L’interprétation est-elle le lieu d’une pensée ? Fait-elle naître un nouveau rapport entre le corps et l’esprit ? Jouer Beethoven, est-ce parler une langue nouvelle ? Réponses et rencontre avec le pianiste Julien Libeer, interprète avec Lorenzo Gatto de l'intégralité des sonates violon-piano.
- Julien Libeer pianiste
L'invité du jour :
Julien Libeer, pianiste
L'instinct musical
Une interprétation est une façon d'illuminer chaque instant musical de toutes ses dimensions en même temps et de les faire dialoguer dans un va et vient permanent. Il y a mille interprétations pour une même œuvre, parce qu'il y a mille façons de se situer sur chacun de ces niveaux. Beaucoup de ce qu'on appelle l'instinct musical et la justesse musicale est une question de savoir intégrer le maximum de paramètres physiques, émotionnels, rationnels, parce qu'il y a une vraie pensée musicale aussi dans le temps réel dans lequel on est en train de jouer.
Julien LibeerPublicité
« Sonate, que me veux-tu ? »
Interpréter Beethoven, dans un sens, c'est comme interpréter absolument n'importe quel compositeur dans la démarche initiale, qui est de s'installer devant une partition et de croire que la musique est un langage qui se suffit à lui-même, et accepter de l'aborder avec l'esprit ouvert et le regard interrogateur. Il y a une belle anecdote de Viatcheslav Richter, un grand pianiste russe, qui, un jour, s'installe devant une partition de sonates et demande : « Sonate, que me veux-tu ? ». Ensuite, il est incontestable que si on interroge une partition de Debussy ou si on interroge une partition de Beethoven, ils vous répondront très différemment parce que ce ne sont pas les mêmes écritures ni les mêmes esthétiques, mais c'est le point de départ. Et même avec le regard le plus ouvert et interrogateur possible, on ne se défait pas de sa propre subjectivité. C'est presque kantien comme principe, quand on arrive avec son propre filtre qui est fait de beaucoup de choses mystérieuses, à la fois son tempérament mais aussi ce qu'on a engrangé comme référence, plus ou moins inconsciemment. Ça filtre la façon dont on lit la partition.
Julien Libeer
L’interprétation, un rapport corps-esprit nouveau ?
L’interprétation est l’osmose des mains et de la pensée, où cette dernière, verbale, trouve sa place. Mais dans les meilleurs concerts, on se rend compte que cette pensée là se limite à établir un cadre très large en dehors duquel on ne sort pas : on peut se rappeler, par exemple, qu’à à tel endroit qui vient dans dix secondes, il y a un passage dangereux ou un changement de tempo. Ce sont des choses qui vous passent par la tête et qui relèvent un peu du verbe, mais c'est extrêmement limité. Le reste est une espèce de flux qui se rapproche beaucoup plus d'un état presque hypnotique que d'un état tout à fait articulé et clairement défini dans sa tête. Les pires concerts sont ceux où on ne fait que penser. Et le constat assez mystérieux c'est que la pensée empêche le corps de faire ce qu'il a envie de faire.
Julien Libeer
Textes lus par Vincent Schmitt :
- Extrait des Sonates de Beethoven, chapitre L'interprétation de Beethoven, de Paul Badura-Skoda et Jörg Demus, traduit de l'allemand par Jean Malignon, éditions JC Lattès
- Extrait de Lettre ouverte à ma main gauche et autres essais sur la musique, de Catherine David, éditions Actes Sud (avec un extrait de la sonate pour violoncelle et piano n°2 en sol mineur, interprétée par Jorg Ulrich (violoncelle) et Bernhard Parz (piano))
Sons diffusés :
- Mixage de début d'émission par Nicolas Berger avec des extraits de Lettre à Elise (La Bagatelle en la mineur, WoO 59, composée en 1810)
- Archive de Claudio Arrau, 1950
- Extrait de la sonate pour piano n°23 en fa mineur, opus 57, interprétée par Claudio Arrau
- Extrait de la sonate pour piano n°32 en ut mineur, opus 111, interprétée par Alfred Brendel
- Extrait de la sonate n°10 pour piano et violon en sol majeur, opus 96, interprétée par Julien Libeer et Lorenzo Gatto
L'équipe
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