Dans son ouvrage "Ou bien… Ou bien...", le philosophe danois Søren Kierkegaard étudie le rapport entre philosophie et musique. Il évoque immédiatement Mozart et son opéra "Don Giovanni", pour lui la quintessence de la musique. Pourquoi Mozart occupe-t-il la place la plus haute pour Kierkegaard ?
- Vincent Delecroix philosophe et romancier
Mozart est né à Salzbourg en 1756 et mort 35 ans plus tard seul, malade, dans la misère, criblé de dettes, à Vienne, le 5 décembre 1791.
Concertos, symphonies, sonates et opéras, plus de 600 œuvres de Mozart sont jouées et chantées à travers le monde aujourd’hui. Talent, travail, exception ou prodige, la musique de Mozart dépasse la partition… Elle ne nous dit rien mais révèle quelque chose, dévoile une partie de l’existence qui tient peut-être du divin, sans doute du génie, et qui aide à nous réconcilier avec notre douloureuse finitude.
Mozart immortel ! À toi je dois tout [...], Mozart qui, jusqu’ici, a empêché que tout s’effondrât à mes yeux dans un chaos sans bornes, dans un cruel néant.
Søren KierkegaardPublicité
Nietzsche considérait Mozart comme un divertissement, mais pour Søren Kierkegaard (1813-1855), philosophe romantique danois, il s'agit bien de la quintessence de la musique...
Une oeuvre particulière joue pour lui un rôle immense : l'opéra Don Giovanni de Mozart, véritable chef d'oeuvre créé en 1787 dans les dernières années de sa vie, à Prague, qui raconte l'histoire de Don Giovanni, appelé aussi Don Juan ou Dom Juan, et pour qui les femmes, toutes les femmes, sont tout ce qui compte...
Que représente Don Giovanni pour Kierkegaard ?
L'invité du jour :
Vincent Delecroix, philosophe, directeur d’Etudes en philosophie de la religion à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes – Sorbonne à Paris
Kierkegaard et la notion d'esthétique
Kierkegaard est celui qui fait pivoter la notion d’esthétique et l’utilise d’une manière novatrice, il en fait un stade d’existence alors que jusque là, l’esthétique était une discipline, une science, celle du goût voire la science des beaux-arts. Mozart est convoqué en ouverture de "Ou bien… Ou bien..." comme ouverture du stade esthétique. Et plus que Mozart, c’est l’opéra Don Giovanni qui intéresse Kierkegaard et qui polarise tout son discours autour de la musique. Il est obsédé par Don Giovanni et déploie une réflexion à partir de cet opéra. Les grands philosophes comme Hegel ou Schopenhauer pensent la musique en général, insérant cet art dans le système des beaux-arts dans une compréhension spéculative ; Kierkegaard fait exactement l’inverse, il convoque une réflexion sur la musique mais à partir d’un compositeur et d’une œuvre de ce compositeur qui lui permet certes d’entreprendre de répondre à des questions classiques de l’esthétique : qu’est-ce que la musique ? Qu’est-ce qu’écrire un opéra ? Pourquoi le chant ? Mais ces questions-là sont toutes tributaires à une perspective existentielle qui investit la musique à partir d’une réflexion vraiment autonome…
Vincent Delecroix
Musique et désir
Don Giovanni, c’est le stade de la pure sensualité, c’est l’esprit de la chair comme le dit Kierkegaard : le charnel, la sensualité, le désir avant tout a une voix et n’a qu’une voix, c’est ce qui permet à Kierkegaard de parler de Don Giovanni, c’est que l’élément musical c’est la nature même pour Kierkegaard du désir… et le désir n’est que musical, c’est pour ça que l’opéra de Mozart est génial pour Kierkegaard, c’est l’opéra des opéras, la musique dont l’objet est la musique parce que c’est la musique dont l’objet est le désir et le désir c’est la musique…
Vincent Delecroix
Don Giovanni, une force plutôt qu'un personnage
Don Giovanni est un personnage qui n’existe pas au sens propre du terme, c’est une figure, quelque chose de quasiment informe parce que c’est la forme brute du désir, le désir immédiat qui consomme tout, qui détruit tout. Cette puissance du désir est à la fois totalement dévorante, elle est infra-rationnelle et infra-subjective, en-dessous du sujet lui-même, c’est pour ça que Don Giovanni est plus une force qu’un personnage… C’est pour cela aussi que la structure de l’opéra, pour Kierkegaard, n’est pas une structure, un récit, une histoire, un drame. C’est tellement brut, rapide, fluctuent, que ça ne peut pas s’insérer dans une structure narrative complète. Don Giovanni est une fausse histoire.
Vincent Delecroix
Texte lu par Shemss Audat :
- Extrait de Ou bien... Ou bien... de Søren Kierkegaard aux éditions Gallimard, collection Tel, Première partie, Les étapes érotiques spontanées ou l'érotisme musical
Sons diffusés :
- Début d'émission : extraits de paroles de philosophes à propos de Mozart, Profession philosophe (Les Chemins de la philosophie), France Culture
- Extrait de la pièce Don Juan de Molière
- Extrait de La Flûte enchantée de Mozart, Air de Papageno, interprété par Dietrich Fiescher Dieskau, direction Karl Boehm en 1966
- Extrait de Don Giovanni sous la direction de Georg Solti par l'Orchestre philharmonique de Londres, 1997, Air du champagne (Finch han dal vino)
- Extrait de Don Giovanni sous la direction de Georg Solti par l'Orchestre philharmonique de Londres, 1997, A cenar teco, dialogue entre Don Giovanni et le commandeur
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