Jean-Baptiste Grenouille, l'étrange héros du Parfum de Süskind, peut sentir, reconnaître, mémoriser, recréer toutes les odeurs ; et ce talent inouï l'isole des autres hommes aussi bien qu'il lui donne sur eux d'envoûtants pouvoirs de séduction.
- Guillaume Bardet Professeur de littérature au Lycée la Fontaine à Paris
Adèle van Reeth s'entretient avec Guillaume Bardet afin de retracer l'itinéraire de Jean-Baptiste Grenouille cet assassin au nez si fin, à travers un XVIIIe siècle où règne la puanteur.
Il était couché sur le canapé du salon pourpre et dormait. Autour de lui, les bouteilles vides. Il avait énormément bu, terminant même par deux bouteilles du parfum de la jeune fille rousse. C’était vraisemblablement trop, car son sommeil, quoique profond comme la mort, ne fut cette fois pas sans rêves, mais parcouru de fantomatiques bribes de rêves. Ces bribes étaient très nettement les miettes d’une odeur. D’abord, elles ne passèrent sous le nez de Grenouille qu’en filaments ténus, puis elles s’épaissirent et devinrent des nuages. Il eut alors le sentiment de se trouver au milieu d’un marécage d’où montait le brouillard. Le brouillard montait lentement de plus en plus haut. Bientôt, Grenouille fut complètement enveloppé de brouillard, imbibé de brouillard, et entre les volutes de brouillard il n’y avait plus la moindre bouffée d’air libre. S’il ne voulait pas étouffer, il fallait qu’il respire ce brouillard. Et ce brouillard était, on l’a dit, une odeur. Et Grenouille savait d’ailleurs quelle odeur c’était. Ce brouillard était sa propre odeur. Sa propre odeur à lui, Grenouille, était ce brouillard.
Or, ce qui était atroce, c’est que Grenouille, bien qu’il sût que cette odeur était son odeur, ne pouvait pas la sentir. Complétement noyé dans lui-même, il ne pouvait absolument pas se sentir.
Lorsqu’il s’en fut rendu compte, il poussa un cri aussi épouvantable que si on l’avait brûlé vif. Ce cri fit crouler les murs du salon pourpre, les murailles du château, il jaillit hors du cœur, franchit les douves et les marais et les déserts, fulgura au-dessus du paysage nocturne de son âme comme une tempête de feu, éclata du fond de sa gorge, parcourut le boyau sinueux et se rua dans le monde extérieur, jusqu’au-delà du plateau de Saint-Flour … C’était comme si la montagne criait. Et Grenouille fut réveillé par son propre cri. En se réveillant, il se débattait comme pour chasser le brouillard sans odeur qui voulait l’étouffer.
Patrick Süskind, Le Parfum, FayardPublicité
- Textes lus par Georges Claisse
Extrait de film
- Le parfum, de Tom Twyker (2006)
Musiques diffusées
- Pascal Estève, C’était ma chambre
- Pascal Estève, Yvonne
- Juliette, Sur l’oreiller
Emission en partenariat avec Philosophie Magazine
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Collaboration
- Production déléguée
- Réalisation
- Réalisation
- Collaboration