Le remords avec Nietzsche : épisode 3/4 du podcast La philosophie dans tous ses émois

Friedrich Nietzsche vers 1875
Friedrich Nietzsche vers 1875 - F. Hartmann
Friedrich Nietzsche vers 1875 - F. Hartmann
Friedrich Nietzsche vers 1875 - F. Hartmann
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Comment comprendre, d'une part, l'inconsistance du remords pour le philosophe à l'esprit libre - celui qui s'est affranchi de l'illusion du libre arbitre ? Et, d'autre part, où trouve racine la mauvaise conscience, "cette plante la plus étrange et la plus intéressante de notre flore terrestre" ?

Avec
  • Paolo D'Iorio musicien et philosophe de formation Paolo D'Iorio est actuellement directeur de l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes (CNRS/ENS) où il est également responsable des équipes « Nietzsche" et « Humanités numériques»..

"Le remords est comme la morsure du chien sur la pierre : une bêtise", écrit Nietzsche (Humain trop humain II, paragraphe 38).

Comment comprendre, d'une part, l'inconsistance du remords pour le philosophe à l'esprit libre - celui qui s'est affranchi de l'illusion du libre arbitre ? Et, d'autre part, où trouve racine la mauvaise conscience, "cette plante la plus étrange et la plus intéressante de notre flore terrestre" (Généalogie de la morale, II, 14) ?
Réponse aujourd'hui en compagnie du philosophe Paolo d'Iorio.

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Le texte du jour

« Je considère la mauvaise conscience comme la profonde maladie dans laquelle l’homme devait sombrer sous la pression du plus radical de tous les changements qu’il ait vécu de manière générale – le changement qui survint lorsqu’il se trouva définitivement prisonnier de l’envoûtement de la société et de la paix. Ce qui se produisit de toute nécessité pour les animaux aquatiques lorsqu’ils furent contraint soit de devenir animaux terrestres, soit de périr, ce n’est pas autre chose qui arriva à ces demi-animaux adaptés avec bonheur à l’étendue sauvage, à la guerre, au vagabondage, à l’aventure, - d’un seul coup, tous leurs instincts se trouvèrent dévalorisés et « suspendus ». Il leur fallait désormais marcher sur leurs pieds et « se porter eux-mêmes » là où auparavant ils étaient portés par l’eau : une pesanteur effroyable les écrasait. Ils se sentaient gauche pour les besognes les plus simples, pour ce monde nouveau et inconnu, ils n’avaient plus leurs anciens guides, les pulsions régulatrices, guidant inconsciemment avec sûreté, - ils en étaient réduits à penser, conclure, calculer, combiner des causes et des effets, ces malheureux, à leur « conscience », à leur organe le plus pauvre et le plus exposé à la méprise ! Je crois que jamais il n’a existé sur terre un tel sentiment de détresse, un tel malaise de plomb, - et ces instincts anciens n’avaient par pour autant cessé d’un seul coup de poser leurs exigences. Seulement, il était difficile et rarement possible de faire leurs volontés : ils devaient pour l’essentiel rechercher des satisfactions nouvelles et comme souterraines. Tous les instincts qui ne se déchargent pas vers l’extérieur se tournent vers l’intérieur – c’est cela que j’appelle l’intériorisation de l’homme : c’est seulement ainsi que pousse en l’homme ce que l’on appellera par la suite son « âme ». Tout le monde intérieur, originellement mince, comme enserré entre deux peaux, a grossi et est éclos, a gagné en profondeur, en largeur, en hauteur à mesure que la décharge de l’homme vers l’extérieur a été inhibée. Les terribles remparts grâce auxquels l’organisation de l’Etat se protégeait contre les anciens instincts de liberté – les châtiments font partie au premier chef de ces remparts produisirent ceci que tous ces instincts de l’homme sauvage, libre, vagabondant se retournèrent, se tournèrent contre l’homme lui-même. L’hostilité, la cruauté, le plaisir pris à la persécution, à l’agression, au changement, à la destruction – tout cela se tournant contre le détenteur de tels instincts : voilà l’origine de la « mauvaise conscience »

- Nietzsche, Généalogie de la morale, « Faute », « Mauvaise conscience », §16, Le Livre de Poche, trad. Patrick Wotling, 2000, pp.163-64

Extraits

- Crime et châtiment de Georges Lampin, avec Robert Hossein (1956)

- Macbeth, mise en scène de Jean Vilar (Festival d’Avignon, 1954)

Lectures

- Nietzsche, Généalogie de la morale, « Faute », « Mauvaise conscience », §15,( Le Livre de Poche, 2000) trad. Patrick Wotling, , pp.160-61.

- Nietzsche, Généalogie de la morale, « Faute », « Mauvaise conscience », §16, ( Le Livre de Poche, 2000) trad. Patrick Wotling pp.163-64

- Nietzsche, Aurore, §202, in Œuvres, tome 1 (Robert Laffont) trad. Henri Albert révisée par Jean Lacoste, p.1090

Référence musicale

- Nina Simone, Sinnerman

Paolo D'Iorio
Paolo D'Iorio
© Radio France - Pauline Darvey

Voici quelques informations concernant la publication des œuvres de Nietzsche sur Internet:

Paolo D’Iorio est responsable éditorial du site Web Nietzsche Source qui publie deux éditions de l’œuvre de Nietzsche :

- L’édition critique allemande de référence (œuvres, fragments posthumes, correspondance)

- L’édition en fac-similé des manuscrits originaux (86 volumes comprenant environ 9 300 pages publiées actuellement)

L’actualité nietzschéenne dans le monde est en revanche publiée par le Nietzsche News Center sous la responsabilité de Paolo D’Iorio.

Enfin, vous trouverez des informations supplémentaires sur le site de PaoloD’Iorio

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