Derrière le mot colère, haine ou tristesse, les émotions du Moyen Âge ne correspondent pas à notre sensibilité contemporaine. Quelle était la vie des émotions au Moyen Âge ? Font-elles partie de l’âme et de l’esprit ou plutôt du corps ?
- Damien Boquet maître de conférence à l’université Aix-Marseille en Histoire du Moyen Âge
Une émission présentée par Anastasia Colosimo
Pour saisir les émotions au Moyen Âge, une première lecture chrétienne est à comprendre. En effet, les premiers philosophes chrétiens ont déterminé en grande partie la lecture des émotions au Moyen Âge au travers de la Bible.
Entre le XIème et le XIIIème siècle, avec l'arrivée de la pensée intellectuelle arabe, les Universités et le développement de la médecine, la philosophie chrétienne évolue et implique une nouvelle lecture des émotions...
Panorama des émotions et des sensibilités au Moyen Âge avec l'historien Damien Boquet.
L'invité du jour :
Damien Boquet, historien des sensibilités, maître de conférence à l’université Aix-Marseille en Histoire du Moyen Âge
Co-auteur de
Sensible Moyen Âge : une histoire des émotions dans l’Occident médiéval aux éditions du Seuil.
Avec Piroska Nagy, Damien Boquet codirige EMMA, Émotions au Moyen Âge, un programme de recherche qui se consacre depuis 2006 à l'étude des émotions médiévales dans une perspective d'échanges avec les sciences humaines et sociales.
Les émotions, une histoire à écrire
Autour de l'historien Alain Corbin s’est développée une histoire des sensibilités, un environnement existait, mais pas pour la question des émotions. Cela nous a déroutés, Piroska Nagy et moi. Les émotions étaient considérées comme des choses un peu évidentes. Il y avait une nomenclature acquise : la peur, la colère, la honte, et tout le monde savait à peu près ce que c’était. On a pu mettre la peur en contexte par exemple mais on ne la questionnait pas comme pouvant évoluer dans une histoire, l’émotion elle-même pouvait se transformer…
Damien Boquet
Johan Huizinga, le premier historien des émotions
Johan Huizinga est un des tous premiers historiens à considérer que l’émotion, en 1919, est importante dans l’histoire. Il légitime l’émotion comme objet d’histoire mais d’emblée l’inscrit dans un grand récit qui irait du Moyen Âge, où les hommes et les femmes étaient incapables de refréner leurs émotions et avaient un rapport spontané et infantile et derrière, à la conscience éthique à la Renaissance et jusqu'à l’émergence de la raison dans le siècle des Lumières… En tant que médiévistes travaillant sur les sources, nous voyions que ça ne fonctionnait pas, l’usage des émotions a une finalité sociale, personnelle, spirituelle… Damien Boquet
L'origine du mot "émotion"
Le mot émotion n’existe pas au Moyen Âge et il n’y a même pas de substantif qui serait un décalque de notre émotion. Ce mot, dans les langues vernaculaires, apparaît à l’extrême fin du Moyen Âge, au XVème siècle, et n’a pas du tout le sens de mouvement intérieur individuel que nous lui attribuons aujourd'hui mais le sens de mouvement collectif, de troubles forts, d’émeutes, de révolte. Les médiévaux, comme dans l’Antiquité, ont plusieurs termes pour qualifier ce registre, un registre du mouvement de l’âme : ils vont parler de motus animi, affectus… Damien Boquet
Le tournant de la catastrophe du péché originel
La génération de saint Augustin, Ambroise, Jérôme, introduit la question des émotions dans une autre narration : depuis la catastrophe du péché originel, la volonté de l’homme ne se domine plus elle-même complètement, il est tiraillé, blessé, brisé à l’intérieur de lui-même, les émotions sont donc aussi le théâtre de cette brisure, partagées entre un versant spirituel bon qui fait des émotions un ascenseur vers la vertu mais aussi la volonté tournée vers les choses terrestres, les émotions pouvant alors devenir vecteur vers le vice. Il y a cette dualité. Damien Boquet
Lectures de Vincent Schmitt :
- Extrait de L'Automne du Moyen Âge de Johan Huizinga, 1919
et musique de Bernard de Ventadorn, Totz altres joys - Extrait de la Somme théologique de saint Thomas d'Aquin
et chanson de Clément Janequin, Hellas mon dieu ton ire
Sons diffusés :
- Extrait du film Ben-Hur de William Wyler, 1959
- Extrait du film Procès de Jeanne d'Arc de Robert Bresson, 1962
- Chanson de Serge Reggiani, La ballade des pendus
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