Un Montaigne de douleur : épisode • 4/4 du podcast La douleur

Portrait anonyme de Michel de Montaigne, aux alentours de 1578
Portrait anonyme de Michel de Montaigne, aux alentours de 1578 - Wikicommons
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Michel de Montaigne souffrait d'une maladie sévère, son existence était un "vivre coliqueux". Dans ses Essais, il propose une approche originale : ni nier la douleur, ni s'y noyer, ni l'exagérer... De la même façon qu'on fait son deuil, comment "faire" sa douleur ?

Avec
  • Dominique Brancher Professeure de littérature française ancienne à l’Université de Bâle, visiting professeure à Yale, spécialiste de la Renaissance

Décembre 1580 : Montaigne est à Rome. Il souffre alors de calculs rénaux, la gravelle, dont la description donne lieu, sous sa plume, à de délicieuses envolées : effusion de sang, expulsion de pierres, de la taille d'une petite pomme et de la forme de sa verge... Les envolées de Montaigne ne sont pas seulement délicieuses mais littéralement graveleuses.
De quoi nous soulager, rien qu'en le lisant : même les philosophes souffrent, même ceux qui visent l'absence de troubles y font face... mais comment ? Y voient-ils vraiment une occasion de penser, de mieux vivre ? Mais comment y parvenir sans complaisance ni dolorisme ? Comment donc ne pas louer la douleur sans faire comme si elle n'existait pas ?

Est-il rien d’aussi doux que ce changement soudain quand, à la suite d’une douleur extrême, j’en viens, grâce à l’expulsion de ma “pierre”, à recouvrer, comme par un éclair la belle lumière de ma santé, si libre et si pleine.      
Montaigne

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S'abandonner à la souffrance, mais avec force

"Ce mal dont souffre Montaigne, il ne se contente pas de l'éprouver au plus profond de sa chair, il prend aussi le parti de l'écrire, de le façonner, de le réinventer dans l'écriture. C'est une manière de sa part de nous inviter à réfléchir : à quelle condition un patient peut-il devenir un agent de sa propre maladie ? Canguilhem se demandait dans quelle mesure on peut "faire" sa douleur, de la même manière qu'on fait son deuil. Montaigne a une réponse extrêmement fine à cette question parce que il ne croit pas du tout à la possibilité d'une maîtrise souveraine sur son corps et ses douleurs, à la manière des stoïciens dont il a pourtant été lui même très influencé et dont il ne rejette pas complètement l'héritage, mais il va le réinvestir d'une nouvelle manière. Il va développer une voie moyenne, plaider pour un acquiescement actif du patient à sa propre passivité. Il nous invite à nous abandonner à la souffrance. Mais pour s'abandonner, cela demande beaucoup de force. C'est tout le paradoxe de la force d'un abandon qui n'est pas du tout l'aveu d'une faiblesse."
Dominique Brancher

Textes lus par Hélène Lausseur :

  • Michel de Montaigne, Les Essais, livre II, chapitre 37, date : 1580, adaptation en français moderne par André Lanly, éditions Quarto Gallimard, page 922 (avec une musique de Gavin Bryars, By the vaar, pour contrebasse clarinette)
  • Chapitre 13, pages 1318-1319 (avec une musique de Mark Springer, Tk)
  • Chapitre 1, pages 527-528 (avec une musique de Kent, Only child)

Sons diffusés :

  • Musique de Marin Marais, Le Tableau de l’Opération de la Taille (1725)
  • Archive de Vladimir Jankélévitch, France Culture
  • Archive du philosophe français Francis Jeanson, 23 avril 1973, dans Les cent livres, ORTF
  • Chanson de fin : Anne Sylvestre, Les vieilles douleurs

Bibliographie :

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