Le jean, pourquoi le vêtement précède l'essence : épisode 17/22 du podcast Objets inattendus de la philosophie

Que reste-t-il à montrer de soi quand on se pare comme tout le monde ?
Que reste-t-il à montrer de soi quand on se pare comme tout le monde ? ©Getty - David Sacks
Que reste-t-il à montrer de soi quand on se pare comme tout le monde ? ©Getty - David Sacks
Que reste-t-il à montrer de soi quand on se pare comme tout le monde ? ©Getty - David Sacks
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Le jean a ceci de particulier qu'il n'est pas remarquable, invisible à force d'être sur tous les corps. Que dit-on de soi à travers lui ? Est-il emblématique de l'évolution même de la mode et des normes de genre ?

Avec
  • Frédéric Monneyron Écrivain et universitaire français, professeur de littérature et de sociologie de la mode à l’Université́ de Perpignan-Via Domitia

Que peut penser la philosophie ?  Y a-t-il des objets plus respectables que d'autres ?  Parce qu'il n'y a pas que le temps, le bonheur ou la justice, tous les vendredis, nous donnerons la place à ce qui semble ne pas en mériter, à des objets inattendus... aujourd'hui : le jean.

James Dean, Annie Erneaux, Umberto Eco, Angela Davis, les Hells Angels, les ouvriers ou les cowboys... tous ont en commun un vêtement, ou plutôt un tissu devenu vêtement. Et même plus, un emblème, un symbole, et tant qu'on y est, un mythe. De la solidité, de la contestation et de la décontraction.
Pourtant, ce vêtement a la particularité de n'être plus du tout remarquable. Invisible à force d'être sur tous les corps. À ces figures connues, ajoutez donc le reste de la planète. Vous peut-être, en ce moment-même.
Alors que cherche-t-on encore à dire à travers lui ? Que reste-t-il à montrer de soi quand on se pare comme tout le monde ?

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L'invité du jour :

Frederic Monneyron, universitaire et écrivain, spécialisé dans la sociologie de la mode

"Le propre des blue-jeans c'est de comprimer la région sacro-lombaire et de se maintenir non pas par suspension mais par adhérence. La sensation était à nouveau inédite pour moi. Ils ne me faisaient pas mal, mais ils me manifestaient leur présence. Bien qu'elle fût élastique, je percevais une armure autour de la seconde moitié de mon corps : je ne pouvais pas, même en le voulant, faire bouger mon ventre dans mon pantalon, mais je devais éventuellement le bouger avec lui. Mon corps était alors partagé en deux zones indépendantes : l'une juste au-dessus de la taille, libre par rapport aux habits, l'autre de la taille aux chevilles, identifiée organiquement à l'habit. J'ai découvert que mes mouvements, ma manière de marcher, de me retourner, de m'asseoir, de presser le pas, étaient différents. Ni plus difficiles ni plus faciles, mais sans aucun doute différents. Par conséquent, je vivais en sachant que je portais des jeans, alors que d'habitude, on vit en oubliant qu'on a un slip ou un pantalon. Je vivais pour mes blue-jeans et je prenais par conséquent l'attitude extérieure de quelqu'un qui porte des jeans. En tout cas, j'adoptais une contenance."
Umberto Eco, La pensée lombaire, Corriere della sera, 1976

Textes lus par Frédéric Pierrot :

  • Georg Simmel, Philosophie de la mode, traduit de l’allemand par Arthur Lochmann, éditions Allia, 1905
  • Chimamanda Ngozi Adichie, Americanah, traduit de l’anglais par Anne Damour, éditions Gallimard, 2013

Sons diffusés :

  • Extrait du film La Fureur de vivre, de Nicholas Ray, 1955
  • Chanson de Patricia Lavila, En blue-jeans et tee-shirt
  • Archive de Pierre Cardin, 29 janvier 1992, dans À voix nue, France Culture
  • Contestation en jean, archive du 11 mai 1968, dans Inter actualités, France Inter
  • Archive de Roland Barthes, 7 février 1967, dans Recherche de notre temps
  • Chanson de fin : Lana Del Rey, Blue Jeans

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