En 1672, Molière invente Argan, le malade imaginaire. Cette comédie en trois actes et en prose met en scène l’imaginaire de la maladie et le rire de Molière nous aide à penser l'objectivation du corps... Celui-ci est-il autre chose que moi ou est-ce une forme de moi avec laquelle j’ai une relation ?
- Patrick Dandrey Professeur émérite de littérature française du XVIIe siècle à Sorbonne Université
Imaginez un homme qui aime tellement les médecins qu’il souhaite que sa fille en choisisse un pour époux…
Imaginez un homme qui préférerait s’inventer des maladies imaginaires pour être toujours entouré par le corps médical plutôt que de jouir de sa bonne santé, et ainsi prendre le risque d’être seul…
Cet homme existe, puisqu’il a été inventé par Molière en 1672, son nom est Argan.
L'invité du jour :
Patrick Dandrey, professeur émérite à la Sorbonne
Un malade est toujours seul
"Le malade imaginaire" est une comédie qui présente une maladie, mais qui n’en est pas une… Malgré tout, cela a un rapport avec notre confinement. La pièce commence par un monologue qui dit une chose très profonde et très triste aussi : un malade est toujours seul. Même entouré, il aura toujours le sentiments que personne ne comprend son mal. On est malade dans le tête-à-tête avec son propre mal.
Patrick Dandrey
Le virus, cet étranger dans mon corps ?
Dans l’imaginaire, nous assimilons le médecin et le médicament à la maladie. Ce qui nous amène à une interrogation éberluée sur le rapport au corps que suppose le mal. Argan trouve dans ses médications la concrétisation du mal qu’il n’a pas, faute d’avoir des symptômes de son mal, il a les symptômes de ses médicaments... Cela nous amène à une interrogation philosophique sur le rapport avec le corps, qui se conjuge avec le verbe être ou le verbe avoir : j’ai un corps, je suis un corps. Si on dit qu’on a un corps, on estime qu’on est double, l’esprit et le corps, matière. C’est une conception, au vu de l’époque, cartésienne. Descartes prouve l’existence du moi de la pensée avant de prouver l’étendue à quoi appartient le corps, nous sommes ici dans une philosophie dualiste. Aujourd’hui, la médecine contemporaine estime que notre pensée est constituée de neurones, de synapses, ces choses compliquées dans la boîte cérébrale, et donc, nous sommes notre corps : quand le corps meurt, la pensée aussi. Ces deux options sont dans l’ordre de l’actualité où la question du virus se pose : qu’est-ce qu’un virus ? Est-ce quelque chose d’étranger que j’héberge dans un sac, comme celui qu'Argan remplit de médications, qui est mon corps ? J’ai remarqué que les gens ne disent pas "je suis cancéreux" mais "j’ai un cancer", comme si c’était quelque chose de l’ordre de la propriété qui modifiait vos cellules… pourtant vos cellules, qu’est-ce donc qu’autre que vous-même ? Il y a là une sorte d’ambiguité sur le rapport que nous entretenons avec ce nous-même qui est notre corps.
Patrick Dandrey
L'objectivation du corps
Tout traitement du corps aboutit à une objectivation du corps, c’est une des vérités et des horreurs que nous révèle la pandémie : qu’est-ce que le corps d’un malade mis en coma artificiel et que l’on alimente par de l’oxygène ? Quelle est la part du soi qui existe dans un tel état ? Dans "Le malade imaginaire", le médecin d’Argan dit : "il ne me fallait que trois jours pour vider le fond du sac". Le sac est le nom que l’on donne à une partie de l’intestin mais la métaphore dit bien ce qu’elle dit ! Pour le médecin, le malade c’est d’abord un sac dans lequel on met des médicaments, dont on expurge de mauvaises humeurs… il y a là un effet d’imaginaire : l’objectivation du corps par les traitements.
Patrick Dandrey
Sons diffusés :
- Le malade imaginaire, de Molière, Acte I scène 1, monologue d’Argan (Jacques Charon), enregistrement France Culture, avec la Comédie-Française (1974)
- Le malade imaginaire, de Molière, Acte I Scène 5, dialogue entre Argan (Jacques Charon) et Toinette (Françoise Seigner), enregistrement France Culture, avec la Comédie-Française (1974)
- Le malade imaginaire, de Molière, Acte III Scène 5, tirade de Monsieur Purgon (François Beaulieu), enregistrement France Culture, avec la Comédie-Française (1974)
- Le malade imaginaire, de Molière, Acte III Scène 10, dialogue entre Toinette déguisé en médecin (Françoise Seigner) et Argan (Jacques Charon), enregistrement France Culture, avec la Comédie-Française (1974)
- Chanson de fin : Gaston Ouvrard, Je ne suis pas bien portant
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