(Ne pas) apprendre à vivre avec "Ivanov" : épisode 6/4 du podcast Tchekhov, le rêve ou la vie ?

Anton Tchekhov à Yalta en 1900
Anton Tchekhov à Yalta en 1900 ©Getty - Heritage Images / Contributeur
Anton Tchekhov à Yalta en 1900 ©Getty - Heritage Images / Contributeur
Anton Tchekhov à Yalta en 1900 ©Getty - Heritage Images / Contributeur
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Si la force du personnage d'Ivanov est son ambivalence, car on ne peut saisir le fond ni de ses intentions, ni de sa pensée, celui-ci ne s'en justifie jamais. Nous tentons alors de mieux cerner ce personnage avec quelqu'un qui le connait bien pour l'avoir mis en scène : Alain Françon.

Avec

Première diffusion de cette émission le 26/02/2019, et première diffusion du Journal de la philo de Géraldine Mosna-Savoye, en fin d'émission, le 24/05/2019, à réécouter ici :

Le Journal de la philo
5 min

Le mot de philosophie apparaît dans presque toutes les pièces de Tchekhov, et toujours de manière ironique. Dans Ivanov, pièce écrite en 1887 puis dans une seconde version en 1889, le personnage d'Ivanov se sent affreusement coupable et le signe de sa culpabilité est la confusion de ses pensées. Cette confusion, cette ambivalence et cette impossibilité de connaitre le fond des choses et de saisir la vérité sur le monde et sur soi, c’est le théâtre de Tchekhov, contemporain de Nietzsche, qui n’est pas loin de penser exactement la même chose...

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L'invité du jour :

Alain Françon, auteur et metteur en scène

Tchekhov, en périphérie 

Ivanov est un peu comme tous les personnages de Tchekhov. Ce sont des personnages qui n’ont pas de centre. On connait d’eux seulement des détails. Par exemple du passé d’Ivanov on sait qu’il a essayé des choses, qu’il a lutté contre des tabous, qu’il a travaillé. C’est d’ailleurs très beau lorsqu’il dit lors d’un monologue : « Ma terre me regarde comme une orpheline ». Cela dit d’une manière très pragmatique qu’il travaillait cette terre. On sait donc quelques éléments sur ces personnages mais ils n’ont pas de centre. Et finalement, toute la dramaturgie de Tchekhov n’est jamais centrée et c’est en ça que c’est génial : il est toujours à la périphérie. On va toujours de l’autre côté avec Tchekhov et je pense que c’est plus démocratique la périphérie… Alain Françon

« Ivanov », une comédie ?

Je pense que la première version de la pièce est plus caustique, plus énervée et surement, plus comique. Les traits sont légèrement plus grossiers. Même les quelques paroles antisémites présentes dans la pièce sont plus prononcées dans la comédie qu’après. Je pense que puisqu’il s’est un peu trompé, car la première version n’était pas un bide mais pas loin, son éditeur lui a dit que le public ne comprenait pas ce personnage, qu’il fallait réécrire des monologues explicatifs, et c’est un peu ce que Tchekhov a fait. Par exemple le mot « angoisse » est présent dans la première version mais pas dans la seconde. C’est donc après réécriture, légèrement moins acide, c’est plus explicatif d’une certaine manière. Alain Françon

Une vision du monde "cassée"

Je crois qu’Ivanov avait une vision du monde, vraiment. Et cette vision du monde s’est cassée. Je trouve d’ailleurs très belle l’utilisation de la métaphore de ce paysan qui pour faire la malin se met deux sacs sur le dos et se « casse ». Françoise Morvan et André Markowicz ont choisi de traduire par le mot « casser » et c’est exactement ça : c’est cassé, il n’y a plus de vision du monde. Par exemple, la vision du monde de Borkine est présentée au deuxième acte lorsqu’il est dit « C’est l’âme de la société qui arrive ». Parce que Borkine a amené des feux d’artifices, qu’il est drôle etc. Et si l’âme de la société c’est Borkine, alors il est compréhensible qu’Ivanov ait perdu sa vision du monde. Ce qui est très émouvant chez Tchekhov, c’est qu’il y a toujours un personnage qui dit : « Peut-être que ce n’est pas pour nous, mais que nos enfants, nos petits-enfants, eux, comprendront ». C’est comme si Tchekhov savait qu’on pouvait avancer mais petits pas par petits pas, que ça prendra du temps. Alain Françon

Texte lu : 

  • Ivanov, Acte III scène 6, Actes Sud, 2000 (page 232)

Sons diffusés :

  • Extrait du film Ivanov, réalisé par Vadim Dubrovitsky en 2009
  • Extraits d'Ivanov, réalisé par Arlette Dave pour France Culture en 1965
  • Extrait d'Ivanov, mis en scène par Alain Françon au Théâtre de la Colline en 2004
  • Musique originale des Trois Soeurs, produite par Marie-Janne Séréro, dans la mise en scène d'Alain Françon au Théâtre de la Colline en 2004
  • Extrait de Peter Brook dans l'émission La Masque et la Plume, diffusée sur France Inter en 1981
  • Morceau Les condamnés à la vie de Vladimir Vissotsky

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