Newton, Goethe et Schopenhauer : les théories de la couleur : épisode • 4/4 du podcast De la couleur !

La théorie de la couleur d'Isaac Newton est fondée sur l'observation selon laquelle un prisme décompose la lumière blanche en un spectre visible de couleurs.
La théorie de la couleur d'Isaac Newton est fondée sur l'observation selon laquelle un prisme décompose la lumière blanche en un spectre visible de couleurs. ©Getty - MirageC
La théorie de la couleur d'Isaac Newton est fondée sur l'observation selon laquelle un prisme décompose la lumière blanche en un spectre visible de couleurs. ©Getty - MirageC
La théorie de la couleur d'Isaac Newton est fondée sur l'observation selon laquelle un prisme décompose la lumière blanche en un spectre visible de couleurs. ©Getty - MirageC
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Le philosophe Maurice Elie nous éclaire sur les enjeux d'une passionnante querelle entre Newton, Goethe, et Schopenhauer, où s’affrontent, au cœur de la couleur, la lumière d’un côté, et la nature de l’autre.

Avec
  • Maurice Elie Maître de conférences honoraire à l'Université de Nice-Sophia Antipolis

Les phénomènes de couleurs, dans les rayons réfractés ou réfléchis, ne viennent ni des confins de l’ombre, ni des modifications de la lumière qui serait différemment agitée : la diversité des couleurs vient nécessairement de ce que la lumière est composée de rayons de différentes espèces. C’est dans son Traité d’Optique, publié en 1703, que Newton avance, expérience à l’appui, cette explication de la diversité des couleurs. Les savants du XVIIIe siècle semblent confirmer cette conception de la couleur, mais au XIXe siècle, Goethe, en voulant démontrer la fausseté de cette thèse, se heurte à l’incompréhension de la communauté scientifique. Ses seuls alliés sont les philosophes de l’Idéalisme allemand et quelques partisans du mouvement romantique européen. Querelle scientifique ou désaccord philosophique ? S’ils s’intéressent tous deux à la couleur, Newton et Goethe parlent-ils de la même chose, ou ne faut-il pas distinguer d’un côté la couleur du scientifique, et de l’autre la couleur du philosophe romantique ?

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Newton cherche à démontrer que la lumière s'écrit en langage mathématique : il s'intéresse à la lumière de l'optique objective, qu'il décompose en un spectre de couleurs. Mais cela signifie-t-il que la lumière est nécessairement colorée, ou peut-il exister une lumière sans couleurs, qui ne seraient donc que des qualités secondes de la lumière ? Selon Newton, la couleur est bien une propriété première de la lumière. 

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Goethe, au contraire, conçoit la lumière comme une lumière blanche, simple, réelle, et naturelle. On a souvent voulu minimiser cette prise de position en réduisant Goethe à son statut de philosophe romantique. Le philosophe Maurice Elie, au contraire, rappelle dans cette émission que Goethe procède par expérience, tire des conclusions, et, à ce titre, s'oppose bien à Newton sur son terrain de scientifique :

On a tendance à simplifier en disant qu'au fond, ils ne parlent pas de la même chose : Newton parle en physicien, alors que Goethe parle en phénoménologue naturaliste. En réalité, Goethe lutte pied à pied avec Newton en expliquant certains phénomènes non pas par le prisme, mais par les effets non seulement de la matière mais aussi des recouvrements d'images.

Ceci dit, Goethe permet d'une certaine manière de dépasser la théorie de Newton en ouvrant considérablement le champ de la couleur, qui devient "spécifique, caractéristique, significative". Il aborde par exemple la dimension affective de la couleur dans son Traité des couleurs :

En général, les êtres humains éprouvent un grand bonheur à voir la couleur. L’œil a besoin d'elle, comme il a besoin de la lumière. Qu'on se rappelle ici le réconfort ressenti lorsque, par un jour gris, le soleil vient à briller en un point du paysage et y rend les couleurs visibles. On a attribué aux pierres précieuses colorées des effets thérapeutiques, peut-être en raison de ce sentiment profond d'indicible bien-être.

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C'est cette prise en compte de la dimension affective de la couleur qui permet ensuite à Schopenhauer de forcer le trait, en insistant sur la dimension particulièrement subjective de la perception de la couleur, aux dépens de toute considération d'optique objective. Dans Le Monde comme volonté et comme représentation, le philosophe souligne ainsi le fait que l'on ne peut se fier aux couleurs de la nature, qui peuvent être trompeuses. 

Aujourd'hui, on peut considérer que la science a plutôt donné raison à Schopenhauer, alors que le milieu esthétique s'est beaucoup plus appuyé sur les théories de la couleur de Goethe. 

Par Adèle Van Reeth. Réalisation : Nicolas Berger. Lectures : Georges Claisse.

Lectures :

  • Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, Vassily Kandinsky
  • Traité des couleurs, Goethe 

Extraits audio :

  • Le Rayon Vert, Rohmer  
  • Gaston Bachelard parle de Goethe (Université radiophonique internationale, "Philosophie et sciences : 4 causeries", 29/11/1952, Chaîne Nationale)

Musiques :

  • The great port, Robert Burger
  • Désintégrations, Tristan Murail
  • White keys, Gonzales
  • Entre le bœuf et l’âne gris, Marc Falcone
  • Valse jaune, Philippe Clay
  • Colore, Les Innocents

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