De sa nouvelle "La Chambre", à sa pièce de théâtre "Huis Clos", les questions de l’enfermement, du rapport à soi et à autrui, traversent l’oeuvre de Sartre. Qu’attend-on du regard de l’autre ? Peut-on franchir le mur de l’enfermement en soi-même ?
- Philippe Cabestan Professeur en Classes Préparatoires au Lycée Janson de Sailly à Paris et président de l'Ecole Française d'analyse existentielle ou Daseinsanalyse
Dessin de l'illustratrice Charlotte Mo : Insta @charlottemagicmo et Portfolio
De juin 1940 à mars 1941, Jean-Paul Sartre est fait prisonnier et interné au camp allemand le Stalag. Il est alors chargé de sondage météorologique pour l’aviation militaire française, mais au-delà de cette expérience, le rapport à soi entre quatre murs est quelque chose qui le préoccupe, et que l’on retrouve dans toute son oeuvre, où il propose une réflexion proprement philosophique…
L'invité du jour :
Philippe Cabestan, professeur en classes préparatoires à Janson de Sailly et président de l’Ecole française de Daseinanalyse
Un enfermement en soi
Dans la nouvelle "La Chambre", il y a un mur entre Eve et son mari Pierre, et en même temps, il y a la volonté d’Eve de triompher de ce mur, et d’être avec son mari. Mais n’est pas fou qui veut. Il ne suffit pas non plus de jouer la comédie de la folie pour être fou. On retrouve là un des thèmes dominants de cette nouvelle, c’est l’idée qu’il y a un mur entre le “normal” et le “pathologique”. "La Chambre" est le récit de l’échec d’Eve, elle n’arrive pas à briser le mur, rentrer dans cette chambre. Elle ne sera jamais enfermée dans cette chambre comme Pierre l’est, dont l’enferment n’est pas spatial : il est enfermé en lui-même.
Philippe Cabestan
"Tous ces regards qui me mangent”
Dans "Huis clos", ils ne sont jamais que trois mais il y a l’idée que ces deux regards suffisent pour représenter tous les regards de l’humanité. "Tous ces regards qui me mangent” : se sentir regardé, pour Sartre, est une épreuve. Dans "L’être et le néant", il souligne que le regard d’autrui me persécute, m’objective, me saisit, m’étiquette, me réifie, me dégrade. Sous le regard d’autrui je suis un corps, et je ne sais pas ce qu’autrui pense et voit de moi.
Philippe Cabestan
"L'enfer, c'est les autres"
La grande thèse de Sartre c’est que l’individu est habité par un désir d’être, c'est un piège dans la mesure où il ne peut pas être satisfait, notamment dans la relation du sujet aux autres… J’attends d’autrui ce qu’il ne peut pas me donner. Dans "Huis clos", toute la pièce repose sur le fait que chaque personnage attend de l’autre qu’il le sauve. J’attends que l’autre me regarde, me contemple, j’aimerais m’approprier ce regard, mais le salut n’est pas possible. Ces personnages pourraient sortir de l’enfer en renonçant à se sauver. L’enfer, c’est donc les autres, et ils sont condamnés à être les bourreaux les uns des autres…
Philippe Cabestan
Texte lu par Denis Podalydès :
- Extrait de la nouvelle La Chambre, de Sartre, parue dans Le Mur, éditions Gallimard, 1939
Sons diffusés :
- Extraits de la pièce de théâtre Huis clos, de Sartre, interprétée par Michel Vitold le 24 mars 1956 au théâtre du Vieux Colombier à Paris
- Archive de Sartre en 1964 à propos de l'enfer : "c'est pas toujours les autres"
- Chanson de Juliette Greco, Rue des Blancs Manteaux
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