Sommes-nous tous en burn-out ? : épisode 1/4 du podcast Philosophie du management

Sommes-nous tous en burn-out ?
Sommes-nous tous en burn-out ? ©Getty - CSA Images
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Le management mise sur l'humanisation des méthodes de travail, pourtant, il en vient à déshumaniser les individus, les déprofessionnaliser. Comment est-ce possible ? Dans le monde du travail aujourd'hui individualisé, comment la souffrance au travail a-t-elle évolué ? Comment se manifeste-t-elle ?

Avec

Difficile de parler du travail sans évoquer tous ses effets, ou plutôt tous ses méfaits.
Difficile, et même impossible pour le management.
Car celui-ci se définit peu pour lui-même mais plus par ce qu'il provoque.
Chacun d'entre nous a ainsi déjà rencontré, discuté ou vécu ses pathologies : stress, isolement, perte de sens...
Pourtant, et c'est tout le paradoxe, aucune de ces souffrances ne semble l'annuler mais le renforcer. Et voici qu'à force de burn out et de douleurs aux bras, on en vient moins à vouloir s'en passer qu'à créer de nouvelles chartes et de nouveaux comités.
Comment le management est-il donc devenu, pour chacun d'entre nous, le contraire de lui-même, ingérable ?

L'invitée du jour :

Danièle Linhart, directrice de recherche émérite au CNRS, sociologue du travail

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Le management ou la rentabilité du salarié

Une partie du management est basée sur des stratégies visant essentiellement à asseoir la domination, la contrainte et le contrôle dans l'organisation du travail sur les salariés, à faire en sorte qu'ils travaillent selon les critères d'efficacité et de rentabilité voulus par leur direction. C'est quelque chose de très difficile, mais stratégiquement, ils le construisent d'une manière qui vise à ne pas tenir compte des des aspirations les plus profondes des salariés, mais à la convergence de leurs pratiques de travail avec les résultats voulus par la direction : être rentable et dégager le plus de profit, s'inscrire dans la rationalité économique ultralibérale.                      
Danièle Linhart

De l'individualisation du travail...

Le management moderne s'est construit en réaction à mai 68, qui a représenté trois semaines de grève générale avec occupation d'usines, un véritable traumatisme pour le patronat qui a tenté de créer un nouveau modèle prétendant rompre avec les logiques extérieures, et ce modèle s'est appuyé sur un socle qui était : salariés, nous avons compris vos aspirations légitimes, vous voulez vous réaliser dans le travail, être reconnu pour ce que vous faites. Et c'est passé par une logique d'individualisation systématique de l'organisation du travail des salariés et de leur gestion. Cette individualisation, selon les managers, c'est prendre en compte tous les aspects les plus profondément humains de cette ressource particulière que sont les salariés. S'est mis en place un modèle qui s'est d'abord élaboré autour de l'individualisation, puis la personnalisation de la relation de chacun à son travail, puis la psychologisation : on est allé chercher au plus profond de chacun ses ressorts les plus intimes, les plus émotionnels, les plus affectifs.              
Danièle Linhart

à la déprofessionnalisation du travail, et ses conséquences

On voulait oublier tout ce qui s'est passé avant 68, l'ordre taylorien, on voulait la promotion des aspects les plus profondément humains au détriment du professionnel : on valorise l'humain au détriment du professionnel parce que l'humain ne peut pas chercher à s'imposer en tant que tel dans l'organisation du travail, le professionnel oui, il peut dire : je connais mon métier, j'ai mon expérience, mon travail doit se définir de telle manière, selon quels critères et avec quels moyens. C'est précisément ce que ne veulent pas les manageurs, ils ne veulent pas que les salariés puissent décider.              
Danièle Linhart

Textes lus par Bernard Gabay :

  • Nicolas Gogol, Le manteau, Œuvres complètes, Les nouvelles pétersbourgeoises, éditions La Pléiade, page 637 (avec une musique de Devonté Hynes, For all its fury 6, Hush pour quatre percussionnistes)
  • Joseph Pontus, À la ligne, 2019, éditions Folio Gallimard, pages 145-149 (avec une musique de Thomas Poli, Single, celled organism)

Sons diffusés :

  • Chanson d'Henri Salvador, Le travail c’est la santé
  • Extrait du film documentaire Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, de Marc-Antoine Roudil et de Sophie Bruneau, 2006
  • Archive d'Alain Le Gouguec, France Info, 28 septembre 2009, (affaire France Télécom)
  • Archive de Jack Bigré, France Télécom, dans l'émission Les pieds sur terre, France Culture, 30 mars 2010
  • Chanson de fin : François Béranger, Tango de l’ennui

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