

Pourquoi faut-il revenir à la question du destin, quand on aborde la notion complexe du "daimôn" dans l’épopée homérique, au VIIIe siècle avant J.-C. ? Qu’est-ce que le sort d’un individu dans ce contexte ?
- Vinciane Pirenne-Delforge Historienne, professeur au Collège de France. Elle est titulaire de la Chaire Religion, Histoire et Société dans le Monde Grec Antique.
Comment le sort se caractérise-t-il par « l’équilibre entre les biens et les maux tel qu’Achille en attribue la maîtrise à Zeus », au chant XXIV de l’Iliade ? Pourquoi ne devons-nous pas, trop rapidement, dissocier les termes grecs de theos qui a donné le mot « dieu » et celui de daimôn, qu’on se gardera de traduire par démon, en imputant aux dieux l’action positive et au daimôn l’intervention négative ? S’interroge l’historienne Vinciane Pirenne-Delforge.
Professeure au Collège de France, titulaire de la chaire « Religion, histoire et société dans le monde grec antique », Vinciane Pirenne-Delforge nous entraîne dans une grande enquête autour des " Dieux, daimones, héros".
Les premiers cours de cette nouvelle série sont centrés sur la notion polyvalente de daimôn à laquelle l’historienne applique "une grille d’analyse polythéiste pour tenter de comprendre comment les Grecs se représentaient l’action des entités supra-humaines dans le monde."
Dans le cours précédent, Vinciane Pirenne-Delforge a ouvert la question de "l’association étroite entre le terme daimôn et le registre de l’action divine dans l’épopée homérique, l’Iliade et l’Odyssée". Elle montrait que :
"Une première investigation dans le corpus épique attribué à Homère fait surgir quelques rares occurrences de daimōn au pluriel, en une stricte synonymie avec les theoi, les dieux. Les daimones participent donc, d’une manière ou d’une autre, du statut divin."
Ainsi, l’historienne rappelle qu’il faut se garder d’ « opposer le profil bien identifié des dieux et le caractère génériquement flou attribué aux daimones » (le daimon au pluriel).
Dans le cour précédent, la professeure notait également :
"Quant à l’expression « semblable à un daimōn », ou « égal à un daimōn », elle implique qu’une action divine est en cours, à travers la figure du guerrier ainsi qualifié dans l’Iliade, que ce soit Diomède rendu clairvoyant par l’action d’Athéna, Patrocle portant les armes d’Achille ou Achille lui-même."
L’historienne nous a soumis « une première hypothèse » :
"La référence au daimōn, dans ces cas-là, dessine l’effet d’une action divine sur un être humain dont les limites sont repoussées au-delà de ce qui est attendu et qui apparaît dans une dimension « suprahumaine » au sens strict. (…) l’action d’un dieu, traduite par daimōn, peut s’inscrire dans le registre de la persuasion, de l’audace, de la ruse ou de l’aveuglement, mais dépasser aussi le registre d’une emprise purement mentale et se manifester concrètement : c’est par exemple le cas quand la corde d’un arc se rompt alors que toutes les conditions étaient réunies pour que cela n’arrive pas."
Ajourd’hui, Vinciane Pirenne-Delforge reprend la question ouverte du cours précédent :
« le daimôn serait-il cette puissance indéterminée, mal définie, qui préside au cours des événements, et plus particulièrement aux événements qui ponctuent la vie d’un individu ? »
L'historienne se penche sur la notion de daimôn dans dans l'Odyssée. Elle rappelle un extrait du livre V, quand Ulysse est à nouveau confronté à des flots déchainés par Poséïdon.
"Durant deux jours et deux nuits, Ulysse dérive mais ne sombre pas, soutenu par l’immortel cadeau d’Inô. Au troisième jour, le vent tombe et la terre apparaît. Le poète relaie alors la pensée du naufragé..."
Vinciane Pirenne-Delforge cite les vers d'Homère, dans l'Odyssée :
"Oh, la joie des enfants qui voient revivre un père, qu’un long mal épuisant torturait sur son lit : un terrible daimôn en avait fait sa proie (στυγερὸς δέ οἱ ἔχραε δαίμων) ; les dieux l’ont délivré, pour sa joie (ἀσπάσιον δ’ ἄρα τόν γε θεοὶ κακότητος ἔλυσαν) !" (V, 394-398)
"Faut-il y voir un indice que le daimôn est défavorable quand les dieux sont favorables" ? demande l'historienne, pour nous mettre en garde aussitôt contre les interprétations hâtives et de noter "C’est loin d’être si simple".
Son enquête s'inscrit également au coeur des mots choisis par le poète. Ainsi :
Qu'est-ce que l'adjectif olbiodaimôn, utilisé par Priam pour souligner le statut d'Agamemnon et quel est le sens de l'apostrophe en daimonie ? Comment les déesses Héra et Aphrodite peuvent-elles recevoir l'apostrophe de "Pauvre folle"?
Nous gagnons le Collège de France pour le cours du 7 mars 2019 : « Daimôn dans l'épopée homérique : du destin ? »

Pour prolonger :
La leçon inaugurale de Vinciane Pirenne-Delforge, Le polythéisme grec, comme objet d’histoire a été publiée chez Fayard en 2018. Elle a également publié avec Gabriella Pironti L'Héra de Zeus: ennemie intime, épouse définitive, aux Belles lettres, en 2016.
Tout Homère, sous la direction d'Hélène Monsacré chez Albin Michel, et les Belles lettres, en 2019
Homère, L'Odyssée. Volume 2 ; traduction de Victor Bérard ; illustrations et décors de François-Louis Schmied ; [gravés sur bois par Théo Schmied] ; [coloriés au pochoir par Jean Saudé] Date d'édition : 1930-1933 ( Bnf-Gallica)
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