Pourquoi la vie n’a-t-elle pas la même valeur partout et pour tous? Comment rendre sa dignité à une vie? Que représentent les inégalités sociales de santé? s’interroge Didier Fassin, qui analyse comment les maladies sont "un puissant déterminant et un impitoyable révélateur des inégalités des vies".
- Didier Fassin Anthropologue, sociologue, médecin et professeur
Quand a-t-on découvert que la durée de vie moyenne, dépendait des circonstances sociales et que la disparité entre pauvres et riches coïncidait avec l'accroissement des inégalités devant la vie ? demande Didier Fassin dans sa leçon inaugurale.
La question fondamentale de l'inégalité des vies
Titulaire de la chaire annuelle de Santé publique, en 2020, médecin, sociologue et anthropologue, Didier Fassin est professeur de sciences sociales à l'Institut d'étude avancée de Princeton et directeur d'études à l'EHESS. Sa leçon inaugurale nous entraîne de Rousseau et des premières enquêtes sur la mortalité dans la France du XIXe siècle, aux Etats-Unis caractérisés par de profondes inégalités, à l'Afrique du Sud, où il a suivi les malades du sida. Et c’est tout en sensibilité et en engagement qu’il nous introduira dans le vécu de cette expérience, en fin de leçon inaugurale.
"Comment concevoir la vie dans sa double dimension du vivant et du vécu, de la matière et de l'expérience ?" Ne cesse de se demander, Didier Fassin.
Quand son essai La Vie, mode d’emploi, critique a été publié, l’anthropologue-médecin rappelle dans un entretien donné au Nouvel Obs en 2018 que pour lui "la question la plus fondamentale", dans son parcours et ses enquêtes, c’est celle de "l’inégalité des vies".
"Probablement, indique-t-il, mon métier initial de médecin a-t-il joué un rôle dans ma prise de conscience de cette inégalité, ne serait-ce qu’à travers mon passage par le mouroir de Calcutta dont j’ai assuré la coordination médicale durant quelques mois au début de ma carrière. Mais je crois qu’elle est plus largement le produit de toute mon expérience, depuis mon enfance dans des quartiers populaires de banlieue jusqu’à mes travaux ethnographiques en Afrique du Sud et en France."
Le Nouvel Obs rappelait d’ailleurs dans un portrait croisé consacré au chercheur et à son frère Eric Fassin en 2011 :
"L'un écrit sur la police et l'humanitaire, l'autre sur la politique des sexes et la race. Venus de banlieue, passés par les États-Unis, ces deux frères incarnent le renouveau de la sociologie."
Le Monde revenant le 11 janvier 2020, au moment de sa leçon inaugurale, sur son expérience de médecin en Inde, en Tunisie et en France, cite Didier Fassin sur le goût d’inachevé que cette expérience lui a laissé, cependant.
"Je me rendais compte que l’outil médical était insuffisant parce que la médecine donne un accès pauvre à la relation humaine et ne permet pas de réfléchir politiquement aux inégalités constatées sur le terrain, racontait-il en 2010."
Des inégalités de santé aux Etats-Unis et de Black Lives Matter
Dans sa leçon inaugurale, Didier Fassin souligne :
"L'inégalité d'espérance de vie est avant tout la conséquence du cumul des inégalités dans la société. L'exemple le plus probant en est certainement les Etats-Unis, dont les dépenses de santé par habitant sont de loin les plus élevées de la planète. Plus du double de celle de la France. Mais dont l'espérance de vie des habitants les placent seulement au 34e rang mondial, derrière Cuba et le Chili".
Didier Fassin revient sur "les criantes inégalités et les violences à la fois physiques et morales auxquelles est exposée la communauté noire aux Etats-Unis et la mort sociale qui touche alors les individus".
Alors que la pandémie du Sars-Cov-2 et les dernières violences policières mettent en lumière de façon impitoyable l’actualité du mouvement "Black Lives Matter", Didier Fassin a expliqué dans sa leçon inaugurale donnée le 16 janvier 2020 que ce mouvement "s’est développé en réponse à la multiplication des drames policiers".
L'anthropologue souligne la justesse du nom « Black Lives Matter » :
Cela "signifie nous dit-il que la vie des personnes noires importe non seulement parce qu’elle est menacée de destruction, mais aussi, et peut‐être plus encore, parce qu’elle est confrontée au risque permanent de sa dépréciation".
Dans un entretien donné au journal Le Monde, en mai 2020, sur les conséquences de la pandémie du Sars-Cov 2, l’anthropologue a mis l’accent sur les « conséquences délétères » de la « crise économique et sociale » retrouvant l’accent de sa leçon inaugurale.
"Je pense, dit-il, aux vies perdues, c’est-à-dire aux morts, et aux vies gâchées, à cause des faillites d’entreprises, des pertes d’emploi, des expulsions de logement, des marques de la pauvreté. Des études récentes aux Etats-Unis ont montré que la récession de 2008 et 2009 s’était accompagnée d’un recul de l’espérance de vie, en grande partie due à une forte augmentation de la mortalité des adultes entre 25 et 64 ans. Dans les années qui viennent, les démographes et les épidémiologistes produiront des statistiques dans différents pays montrant des phénomènes comparables, peut-être plus intenses encore car la récession est plus profonde."
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
En s'appuyant sur des expériences et des conditions de vie diverses, comme celles des femmes, des Noirs aux Etats-Unis, des migrants, Didier Fassin analyse sur trois continents, en France, au Sénégal, en Afrique du Sud, en Équateur ou encore aux États-Unis, la valeur biologique, éthique et politique accordée à la vie dans les sociétés contemporaines.
Comme le rappelle sa page de présentation au Collège de France :
"Ses travaux reposent sur une méthode ethnographique rigoureuse fondée sur une présence de longue durée sur des terrains multiples, qui lui a permis d’étudier l’expérience des malades du sida, des personnes détenues, des demandeurs d’asile, des étrangers en situation irrégulière, ainsi que les enjeux autour de la mortalité maternelle, du saturnisme infantile, du traumatisme psychique et de l’action humanitaire. Il a également conduit des enquêtes sur la police, la justice et la prison, afin de mieux comprendre la manière dont on administre et distribue le châtiment."
Revenant sur la notion de biopolitique de Michel Foucault, il s'interroge sur les politiques de la vie dans sa leçon inaugurale, intitulée " De l’inégalité des vies."
Pour prolonger
- Références des documents musicaux
Extrait de la chanson "Village Ghetto Land" de Stevie Wonder, extraite de son album phare et engagé Songs in the key of life(1976). "Certains disent que nous devrions être contents de ce que nous avons / Dites-moi, seriez-vous heureux à Village Ghetto Land ?", chante-t-il pour dénoncer le regard sur la pauvreté et les conditions de vie des Afro-Américains :
Families buying dog food now-
Starvation roams the streets
Babies die before they're born
Infected by the grief
Now some folks say that we should be
Glad for what we have
Tell me would you be happy in Village Ghetto Land
Village Ghetto Land
En générique de fin, DJ Spooky avec le Kronos Quartet, « A Nation Divided », extrait de l’album “Rebirth of a Nation” (2015), conçu comme un remix engagé et une "nouvelle imagination" du film muet et raciste "The Birth of a Nation" de Griffith en 1915.
L'équipe
- Production
- Réalisation