Des mythes, des innovations, des langues : les inventions de l'Europe : épisode • 1/9 du podcast Inventer l'Europe, colloque du Collège de France

Europa Prima Pars Terrae, 1581 or 1588, Hanover, by Heinrich Bunting
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Quelles sont les inventions de l'Europe, des mythes fondateurs aux dernières innovations scientifiques et techniques, en passant par l'aventure polyglotte ? Thomas Römer, William Marx, Edith Heard et Tiphaine Samoyault déconstruisent bien des stéréotypes et ouvrent de stimulantes perspectives...

Avec
  • Tiphaine Samoyault Essayiste, traductrice et critique littéraire, directrice d’études à l’EHESS
  • Thomas Römer Administrateur du Collège de France et Professeur titulaire de la chaire "Milieux bibliques"
  • Edith Heard Généticienne, professeur au Collège de France, directrice générale du Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL)
  • William Marx Historien de la littérature, professeur au Collège de France.

Pourquoi revenir sur la variété des mythes qui fondent l’Europe depuis la Bible et l’antiquité ? S’interrogent respectivement les philologues, Thomas Römer et William Marx. Comment la recherche et l’innovation, par essence plus performantes quand elles sont transnationales, sont-elles devenues prioritaires dans l’Union Européenne et quelles sont leurs réussites actuelles ? Demande la généticienne Edith Heard. De quelle façon la "créolisation est-elle la chance des langues de l’Europe"? S’interroge la crititique-traductrice Tiphaine Samoyault.

Dans l’actualité de la Présidence française du Conseil de l’Union Européenne, nous ouvrons cette semaine une grande réflexion interdisciplinaire autour des enjeux européens actuels et des débats sur l’avenir de l’Union Européenne. Dans cette perspective, le Collège de France a proposé un passionnant colloque intitulé « Inventer L’Europe», pour la rentrée 2021 co-organisé par les professeurs Samantha Besson, Edith Heard, Stéphane Mallat et William Marx avec Thomas Römer, administrateur du Collège de France.

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Une Europe multilingue et multiculturelle

La European Universities Community (Communauté des université européennes - EUC), jeune collectif engagé, réunissant une nouvelle génération d’étudiants Erasmus ou issus des alliances universitaires, venus des 4 coins de l’Europe, a présenté et remis aux parties-prenantes européennes, le 24 janvier 2022, un formidable manifeste sur l’avenir des universités en Europe. Face aux enjeux périlleux du XXIe siècle, défis géopolitiques, environnementaux, numériques, sociétaux, voire psychiques, ils rappellent l'urgence d'actions concrètes et bien pensées et de se rassembler dans la coopération. Ils refusent d’être réduits à un modèle uniforme et rejoignent l’idéal de libre recherche et de cosmopolitisme qui ouvre l’esprit, sinon les cœurs, idéal dans lequel le Collège de France s'est engagé de longue date.

"Pourquoi les expériences multiculturelles et multilingues sont-elles importantes"? Demandent les jeunes étudiants de l’ EUC. "Comprendre les différences est une vertu qui permet de surmonter les mythes et les stéréotypes. C’est une aventure de l’esprit, un excellent moyen de questionner ses perceptions et de dépasser ses propres limites . Au-delà de la perspective d’enrichissement personnel qu’elles apportent à chaque individu, qui a l’occasion d’étudier à l’étranger pendant un certain temps, la diversité au sein de notre communauté doit être considérée comme notre force collective. De l’exposition à des cultures et des langues étrangères, découle une vision globale et tolérante, qui facilite la croissance personnelle et collective. L’avenir de l’Europe y réside."

"L'éducation et la recherche sont de précieux biens communs dont il faut prendre soin. Parce que les universités sont à la pointe de l'innovation et qu’elles accueillent un nombre croissant d'étudiants et de citoyens européens, elles devraient être les chefs de files du changement global pour notre avenir commun". "En accord avec la devise de l'Union européenne, 'Unie dans la diversité', les universités doivent relever les défis tant au niveau mondial que local».

Cet engagement à questionner l’héritage européen et les débats autour de l’avenir de l’Union Européenne est au cœur du colloque de rentrée du Collège de France, intitulé " Inventer l’Europe" (les 21 et 22 octobre 2022).

Le pouvoir créateur de l'Europe, "unie dans la diversité"

C’est Thomas Römer, titulaire de la chaire Milieux Bibliques et Administrateur du Collège de France qui ouvre le colloque "Inventer l’Europe". À sa suite, William Marx, titulaire de la chaire de littératures comparées proposera une introduction à deux voix, entre le temps long et universel des mythes et le temps court de l’histoire présente avec la contribution d’ Edith Heard, titulaire de la chaire, Epigénétique et mémoire cellulaire.

"L'Europe, rappelle William Marx , n'est pas un espace prédéfini, mais une simple direction, un mouvement, le mouvement d'un regard qui voit large la direction dans laquelle va une princesse sur son taureau, puisqu'elle même ne posera jamais les pieds sur le continent."

Les Cours du Collège de France
58 min

Si la généticienne Edith Heard s'attache aux succès de l'Europe qui invente et qui  innove collectivement (elle cite les exemples du CERN et le partage de données entre chercheurs  dans le cadre de la pandémie...), elle note cependant, quand elle revient sur le projet d'Union après la Seconde guerre mondiale : "À l'époque, la science n'était pas au centre des débats ou des priorités,  mais très vite, des pionniers se sont réunis afin de développer et de  relancer la recherche scientifique européenne. On peut citer le CERN,  qui fut créé au début des années 50, avant même que le traité de Rome ne fût signé". "L'Europe, souligne encore Edith Heard, est et a toujours été un projet, un projet mené à plusieurs qui s'efforce de se développer au delà des frontières et des potentielles différences culturelles."

En deuxième partie d’heure, nous vous proposons la stimulante contribution de Tiphaine Samoyault, intitulée " Entre les langues : traduction et créolisation en Europe". Directrice d’études de l’EHESS et directrice du centre de recherche sur les arts et le langage, elle a notamment publié un essai, intitulé "Traduction et violence" ( Seuil, Fiction & Cie). Traductrice de l'oeuvre de James Joyce, elle revient sur son expérience, notamment autour de l'œuvre Finnegans Wake. Elle dirige également la revue en ligne de littérature et d’idées, En attendant Nadeau , après avoir longtemps collaboré à la Quinzaine littéraire.

En fin de contribution, Tiphaine Samoyault explique :

"Le critique québécois Rainier Grutman a inventé le néologisme d' hétérolinguisme pour nommer le plurilinguisme intra-textuel. Ce terme beaucoup repris par les spécialistes, n'est pas passé dans la langue courante. C'est pourquoi le terme de créolisation, avec l'extension politique et poétique que lui a donné Edouard Glissant, me paraît plus intéressant et qu'il m'importe de le promouvoir".

La chercheuse présente ainsi son approche de la traduction et de la créolisation en Europe :

"L’Europe n’a cessé de traduire et de se traduire. Son existence culturelle est dépendante de cette double dynamique contradictoire : accueil et appropriation d’une part, pluralité et unité d’autre part. Si toute traduction déplace et créolise la langue d’arrivée, il faut tenir compte de la façon dont ce contact des langues anime les idiomes européens : ces frictions et créolisations sont-elles représentées de façon juste par le concept de traduction  ? L’aventure polyglotte n’implique-t-elle pas parfois de refuser la traduction ? À partir de textes littéraires qui s’écrivent en plusieurs langues ou inscrivent l’hybridité linguistique dans leur poétique, je me propose d’examiner les diverses manières dont la traduction informe la littérature et celles par lesquelles, en retour, la littérature propose des formes de résistance à la traduction. Car la traduction n’est pas une langue et pas non plus toujours le lien entre les langues, et l’un des enjeux contemporains est de s’opposer au grand transcodage qui conduit à penser que tout peut se traduire en tout. La créolisation est la chance des langues de l’Europe, précisément parce qu’elle porte le mouvement de la traduction sans procéder à l’assimilation."

Extrait du texte de James Joyce, calligraphié en 1986 pour la revue universitaire «Cavaliers seuls»
Extrait du texte de James Joyce, calligraphié en 1986 pour la revue universitaire «Cavaliers seuls»
- James Joyce/«Cavaliers seuls»/Soheil Azzam

Nous gagnons le Collège de France le 21 octobre 2022, aujourd’hui des "mythes, des innovations, des langue".

Pour prolonger

Le CERN ; L'enlèvement d'Europe (fresque de Pompéi) ; la Tour Eiffeil européenne ; Nous l'Europe (détail affiche) ; les étudiants et chercheurs de la EUC au FUF
Le CERN ; L'enlèvement d'Europe (fresque de Pompéi) ; la Tour Eiffeil européenne ; Nous l'Europe (détail affiche) ; les étudiants et chercheurs de la EUC au FUF
- Kim Steele/ Getty/ Christophe Raynaud de Lage (photo affiche "Nous l'Europe, mise en scène de Roland Auzet et texte de Laurent Gaudé/ Marie Marchand (EUC/FUF/PFUE 2022)/Godong/Universal Images Group via Getty Images

Autour des images :

  • L'image de Une reprend celle du programme du Collège de France, intitulée "Europa prima Pars Terrae en forma Virginis" (Hanovre, anonyme, XVIe siècle), c'est une représentation de l'Europe en majesté ( Europa Regina), portant sceptre et globe, iconographie anthropomorphe des cartes de l'Europe.
  • L'extrait calligraphié de Finnegans Wake de James Joyce, en 1986 pour la revue universitaire «Cavaliers seuls», a été repris en ligne par le site Soleil Azzam.
  • Le montage d'images réunit  : une photo intitulée "ATLAS, Large Hadron Collider, CERN" (Getty) ; un détail de l'enlèvement d'Europe (Collection of Museo Archeologico Nazionale di Napoli. Artist Roman-Pompeian wall painting) ; la Tour Eifffel aux couleurs de l'Europe en 2008 ; un détail de l'affiche du poème musical de Laurent Gaudé, "Nous l'Europe, Banquet des peuples" (affiche reprise sur la page de l' Opéra de Limoges en décembre 2021) ; la dernière photo présente les 4 étudiants de la European Universities Community ( EUC) accompagnés de professeurs européens, le 24 janvier 2022, après la remise du manifeste sur l’avenir des universités en Europe au FUF (Forum des universités pour le futur de l'Europe).

Référence musicale :

Le générique de fin est extrait de l'album "Philharmonia" d'Etienne Perruchon, avec l'Orchestre National d'île-De-France et la Maîtrise de Paris, le morceau "Philia's Song". Le compositeur a inventé une langue européenne imaginaire, le dogorien.

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