Léviathan est-il un monstre bienveillant ou malveillant? Va-t-il nous dévorer ou nous incorporer? Pourquoi des images et pas seulement des récits? L'historien Patrick Boucheron revient sur l’éloquence visuelle et sur les enjeux des frontispices? Celui du Léviathan fait-il écran? demande-t-il.
- Patrick Boucheron Historien, professeur au Collège de France, titulaire de la Chaire d’histoire des pouvoirs en Europe occidentale (XIIIe-XVIe siècle)
Patrick Boucheron, titulaire de la chaire Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIᵉ-XVIᵉ siècle, interroge à partir de ce cours Le Léviathan de Thomas Hobbes, publié en 1651.
« Nous voici face au monstre » nous dit-il.
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Rappelons cette image :
Un corps géant, monumental, avec la tête d’un homme du 17e siècle qui nous regarde, et dont on ne sait que penser de l’expression - et dont le corps immense est fait d’une multitude d’êtres humains bien visibles, émerge au-dessus d’un pays, constitué d’une petite montagne que ce colosse domine avec son épée et sa crosse, où se devinent quelques villages adossés à ses pentes, tandis qu’au pied de cette montagne s’étire une ville avec son plan en damier. Voilà pour la partie la plus célèbre et la plus sensationnelle de la représentation qui ouvre Le Léviathan de Thomas Hobbes. La 2e partie de cet illustre et glaçant frontispice que Patrick Boucheron nous livre au cœur de sa série sur les fictions politiques n’en est pas moins énigmatique avec ses vignettes-emblèmes, ses 2 scénettes et en son centre sur un rideau, le titre énigmatique et effrayant, Léviathan…Donc à la fois « monstre marin, titre de livre et figuration de l’Etat ». Qu’est-ce qui se joue avec les images, avec l’iconoclasme ? Qu’est-ce qu’un emblème ? Pourquoi faut-il, à certains moments, rendre visible? demande l'historien.
Patrick Boucheron cite la définition d’Alciat. Il rappelle la réversibilité de toute fiction politique : les deux corps du roi et l’Habeas corpus avant de revenir sur la société eucharistique d’après le Retable des Sept sacrements peint en 1445 par Rogier Van der Weyden : « système social, système spatial, régime du visible » nous dit-il.
Avant l’image de Léviathan, il interroge la fiction théologique, il nous introduit au cœur d’autres représentations : A Urbino, le retable du maître-autel de l’église du Corpus domini, le Miracle de l’hostie profanée, le miracle des Billettes… Il cite Jean-Louis Schefer, dans L’hostie profanée. Histoire d’une fiction théologique, qui évoque
un « théâtre eucharistique dans lequel les juifs médiévaux sont enrôlés pour une illustration doctrinale ».
Ces fictions visuelles mettent en scène les « déicides perpétuels », des violences contre les symboles et contre les juifs, des autels diaboliques et présentent à divers degrés des échos de la Passion du Christ. Revenant sur le songe de Louis VII et celui du cerf ensanglanté et dévoré, Patrick Boucheron note que
"le cannibalisme, comme retournement monstrueux de la métaphore eucharistique, déborde la théorie politique pour hanter tout imaginaire du pouvoir".
Il note « l’ubiquité de la barbarie » sur la question des sauvages du Nouveau Monde et de l’ensauvagement de l’Ancien Monde au moment de la Brève relation de la destruction des Indes de Las Casas en 1598. Cette barbarie qui se déploie, c’est celle des guerres de religion.
Et "nous voici donc enfin face au monstre " : Léviathan en 1651, nous dit Patrick Boucheron qui demande aussitôt : pourquoi Thomas Hobbes ne peut-il penser l’État sans en créer l’image ? Quel est cet événement visuel et de pensée ? Pourquoi ce frontispice ?
Quelle est cette "grosse bête qui monte la garde, tandis qu’en lui obéissant, nous-mêmes, nous lui donnons les moyens de nous garder" ?
Qu’est-ce qui demeure de la liberté sous l’emprise de l’arbitraire ? Que révèle le rideau ?
Et nous gagnons l’amphithéâtre du Collège de France**,** le 21 février 2017, pour le cours de Patrick Boucheron, dans le cadre de sa série, « Fictions politiques », aujourd’hui, « Face au Léviathan : l'événement visuel »
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