La caméra est une sorte de fétiche – Filmer au Moyen-Orient, Leçon inaugurale d'Amos Gitai

Le réalisateur Amos Gitaï et l'actrice Lisa Kreuzer pendant le tournage du film Berlin-Jérusalem en avril 1989, Israël.
Le réalisateur Amos Gitaï et l'actrice Lisa Kreuzer pendant le tournage du film Berlin-Jérusalem en avril 1989, Israël. ©Getty - Photo by Sara BINOVIC/Gamma-Rapho via Getty Images
Le réalisateur Amos Gitaï et l'actrice Lisa Kreuzer pendant le tournage du film Berlin-Jérusalem en avril 1989, Israël. ©Getty - Photo by Sara BINOVIC/Gamma-Rapho via Getty Images
Le réalisateur Amos Gitaï et l'actrice Lisa Kreuzer pendant le tournage du film Berlin-Jérusalem en avril 1989, Israël. ©Getty - Photo by Sara BINOVIC/Gamma-Rapho via Getty Images
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Pourquoi faut-il des qualités contradictoires pour être cinéaste ? Comment Amos Gitaï, qui a fait des études d’architecture, comme son père, a-t-il "approché petit à petit" le cinéma? Comment est-il devenu réalisateur ? Quel est son attachement inquiet et critique à l’égard de l’histoire d’Israël?

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Quel est son engagement de "citoyen", dans un monde qualifié de "triste", mais devant lequel, "il ne faut pas désarmer le regard, ni la pensée" ? Quel rapport entretient-on avec la caméra ? s’interroge-t-il dans sa leçon inaugurale

Dans les années 1970-1980, Amos Gitaï a réalisé plusieurs documentaires, dont House, censuré par la télévision israélienne, et dont vous découvrirez aujourd'hui la bande sonore incroyable. Aujourd’hui vous allez aborder le monde d’Amos Gitai d’abord par l’oreille et par des images mentales. Les extraits de ses films, qui sont diffusés dans la vidéo de sa leçon inaugurale, sont disponibles sur le site du Collège de France, ainsi que son court-métrage The Book of Amos, grand plan-séquence filmé en 2012, qui achève sa conférence et dont vous entendrez là encore la très impressionnante bande sonore.

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Il a tourné Esther, son premier long métrage de fiction en 1985 et s’est partagé dès lors, entre les documentaires, des mises en scène, l’écriture et la réalisation de fictions. Son oeuvre a été couronnée de nombreux prix, dont le prix Roberto-Rossellini en 2005, le Léopard d'honneur du 61e festival de Locarno en 2008 et du prix Robert-Bresson de la Mostra de Venise en 2013, il est le premier cinéaste nommé à la chaire annuelle de Création artistique du Collège de France. 

La mémoire est au cœur de son travail. Sa leçon inaugurale joue habilement de son itinéraire personnel et de son rapport à la mémoire. A la revue Transfuge en octobre 2017, il confiait : 

"La mémoire est une faculté très puissante. Vous savez les meilleurs films que j'ai pu voir, les Pasolini par exemple, en tant que spectateur, ont commencé après la fin de la projection. Notre rôle en tant que cinéastes est de laisser une trace dans la mémoire…"

Pour Amos Gitai,

"Il s'agit de trouver un équilibre fragile : ne pas rester neutre, mais ne pas écraser les points de vue antagonistes. Car je préfère avoir un public actif, qui se forge sa propre opinion, qui interprète, pas un public de consommateurs."

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Quand la Cinémathèque lui a consacré une exposition, prolongée par un bel ouvrage collectif, publié chez Gallimard en 2014, Amos Gitai architecte de la mémoire, il rappelait :

"la caméra est une sorte de fétiche. ce n'est pas seulement une machine à reproduire, capable de répliquer le mouvement, la couleur, c'est une machine qui acquis le pouvoir d'un objet cérémoniel, dont la présence même permet à un réalisateur d'entrer dans des lieux auxquels sans la caméra, il n'aurait pas accès je n'aurais jamais pu prendre place à bord de l'avion d’Itzak Rabin, ni entrer à la Maison-Blanche pour voir et tenter de comprendre ce qui m'intéresse si je n'avais pas eu ce fétiche dans les mains ; à une époque où nous sommes bombardés d'images de télévision qu'il s'agisse d'informations ou de programme de divertissement, la technologie et l'industrie de production d'images ne cessent de progresser, il importe de rester résolument conscient de l’acte de représentation, de garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas seulement du quoi filmer, mais du comment filmer."

Le réalisateur explique :

"Pour moi le plan séquence est l'un des moyens cinématographique les plus subversifs. Il permet de créer un rythme qui oblige les spectateurs à porter un regard différent du regard mécanique auquel les séries télévisées ou les reportages et le cinéma commercial nous ont habitués. quand un plan s’étend au-delà du lieu, ou de la durée conventionnelle, lorsqu'on force le spectateur à rester à continuer à regarder l'image,  il est obligé de s'en rendre compte et de prendre conscience des questions que cela soulève. De façon générale je crois que toute forme de cinéma qui inclut la prise de conscience de la durée du film par le spectateur tente de préserver un certain degré de complexité dans la présentation d'un problème. La durée permet d'enregistrer un autre regard"

Comment sa formation d’architecte, dont il s’est affranchi grâce à sa camera super 8, peut -elle inspirer Amos Gitaï ? Comment a-t-il compris que "sa caméra le protégeait" ? Comment rechercher la vérité sans peur ? demande Amos GItaï, quand il évoque son passage à Berkeley pour ses études d’architecture.

Comment le rapport à la mort peut avoir des effets contradictoires ? Comment "au nom d’une vie qui était presque partie", après avoir frôlé la mort, à cause de la guerre de Kippour en 1973, Amos Gitaï a-t-il considéré que c’était sa mission de dire les choses que l’on pense?

Nous gagnons l'amphithéâtre Margerite de Navarre, le 16 octobre 2018, pour la Leçon inaugurale d'Amos Gitai, "La caméra est une sorte de fétiche – Filmer au Moyen-Orient"

Cette leçon est précédée du mot d'accueil d'Alain Prochiantz, qui était alors l'Administrateur du Collège de France.

Pour prolonger :

Une journée avec Amos Gitai, Théâtre de la ville

Amos Gitai, en colère contre Israël. Par Vincent Jaury, Transfuge, 5 Septembre 2019

Jeanne Moreau performs in 'La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres' directed by Amos Gitai at Avignon Festival 2009.
Jeanne Moreau performs in 'La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres' directed by Amos Gitai at Avignon Festival 2009.
© Getty - Photo by Pool PARIS/TAUB/Gamma-Rapho via Getty Images
  • En 2010, il a publié la Correspondance d'Efratia, sa mère, lue par Jeanne Moreau à l'Odéon-Théâtre de l'Europe et sur France Culture.

Berlin, lettre d'Efratia (mère d’Amos Gitai ) à son père, le 22 septembre 1931

"Mon cher petit papa, c’est avec le coeur lourd que je t’écris cette lettre. Je ne sais pas vraiment ce qui m’arrive ces dernières temps, je suis si pessimiste. Je peux même me dire que je me sens brisée et épuisée. Papa, je veux t'écrire comme à un ami, j’espère que tu me comprendras. (…) Nous vivons une période épouvantable, sans exagérer... Crises, famines... Des millions de gens dans le monde. « Les ténèbres » règnent. Les corbeaux croassent, l’homme est mauvais. Il est le reflet de l’époque dans laquelle nous vivons. Je ne suis pas la seule à le penser, mes amis militants m'envoient des lettres sombres. La peur ne se ressent pas seulement à la lecture des lettres mais aussi à celle des journaux qui confirment que la paix ne règne pas. En Allemagne, l’atmosphère est  explosive, personne ne sait vraiment ce que demain nous réserve… une révolution fasciste ? ou communiste ? six millions de chômeurs ? L’hiver est glacial. La panique boursière, je ne t’en parle même pas.  Même les tenants les plus optimistes de l’économie bourgeoise ont déchanté. La crise n’a  pas encore atteint son point culminant." 

"Je viens de lire ta lettre, papa, celle qui concerne le travail —je l’ai lue, avec attention—. J’ai pris conscience, moi aussi, que chacun devait avoir un travail même si, à une époque aussi critique, avoir une profession et un diplôme ne garantit à personne de ne pas aller au diable. Je sais très bien que le fait d’avoir de quoi manger, de travailler en étant autonome et de gagner sa vie est le fondement de toute existence. Pour y parvenir, il faut de grandes forces mentales… mais je crois en les miennes et en mes capacités pour me construire une belle vie."

  • Efratia Gitaï, Correspondance (1929-1994), traduit de l'hébreu par Katherine Werchowski. Édition de Rivka Gitaï, collection « Haute Enfance », Gallimard, 2010.

Référence musicale du générique de fin de la leçon inaugurale et de la série de cours d'Amos Gitai, "Traverser les frontières"

  • Amit Poznansky, BO du film d'Amos Gitai, Le dernier jour d'Yitzhak Rabin (2015, "Rabin, The last Day"), "Opening Thème", écoute disponible sur le soundcloud du compositeur israélien (partie "films, TV, projects").

Présentation des films d'Amos Gitai, dont vous pouvez entendre les paysages sonores et la bande son, au cours de la leçon inaugurale :

House retrace les changements de propriétaires et d’occupants d’une maison de Jérusalem-Ouest. Après le départ de son propriétaire, un médecin palestinien, en 1948, elle a été réquisitionnée par le gouvernement en vertu d’une loi sur les « absents », louée à un couple de Juifs algériens, puis rachetée par un professeur d’université israélien qui entreprend de la transformer. Sur le chantier se succèdent les anciens habitants, les ouvriers, le nouveau propriétaire, les voisins. Le film fut censuré par la télévision israélienne.

A propos de House, Serge Daney écrit dans Libération, 1er mars 1982.

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"Le principe de filmage de la guerre dans Kippour est simple, limpide. Privilégier la durée réelle […] faire de la caméra une personne supplémentaire qui marche à côté des soldats, court, elle aussi, derrière les autres pour grimper dans l’hélico sur le point de décoller […]. Le spectateur est à l’intérieur de la guerre tout en restant à l’extérieur du groupe, les accompagnant à distance. Jamais le film n’alimente chez le spectateur le fantasme de faire corps avec eux." (Charles Tesson, Cahiers du Cinéma, n° 549, septembre 2000)

Film : The Book of Amos, 2012, court-métrage

Un plan-séquence tourné dans une rue de Tel- Aviv. Des comédiens, hommes et femmes, israéliens et palestiniens, incarnent le prophète Amos et font entendre aujourd’hui ses antiques imprécations contre la corruption et les injustices sociales.

La Leçon inaugurale d'Amos Gitai est publiée chez Fayard.

Amos Gitai "La caméra est une sorte de fétiche – Filmer au Moyen-Orient"
Amos Gitai "La caméra est une sorte de fétiche – Filmer au Moyen-Orient"
- Fayard