Le travail salarié est-il ou non compatible avec l'état d'un citoyen libre ? Comment l’extension du salariat pose-t-elle le débat entre ceux qui y voient une servitude et ceux qui y voient une liberté contractuelle, respectant la volonté individuelle ? Demande Alain Supiot.
- Alain Supiot Juriste, docteur honoris causae, professeur émérite au Collège de France
Qu’est-ce qui s’est joué à la Cour suprême des Etats-Unis avec l’arrêt Lochner contre New York en 1905 et l’argument de la liberté du travail du salarié ?
De Proudhon aux chevaliers américains du travail, quel modèle de démocratie participative a pu émerger au XIXe siècle ? Comment la question de la démocratie économique s’est-elle déplacée du terrain de la nation à celui de l’entreprise et que visaient les réformes du New Deal, au XXe siècle ?
Alain Supiot, titulaire de la chaire État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités, membre de la Commission mondiale sur l'avenir du travail, nous propose, depuis la semaine passée une grande réflexion autour des " Figures juridiques de la démocratie économique".
Dans le cours précédent, Alain Supiot s’est attaché à la vision révolutionnaire de la démocratie économique en France et aux Etats-Unis. Ainsi Monstesquieu a cherché à savoir « comment conserver les effets bénéfiques du commerce sans saper les bases civiques de la démocratie », dans le chapitre de l’Esprit des lois, intitulé « comment les lois doivent entretenir la frugalité dans la démocratie ».
Si l’essayiste loue « l’esprit de commerce », il n’en est pas moins clair sur trois propositions, soulignées par Alain Supiot :
Premièrement, il n’est pas de démocratie durable sans égalité et modestie des conditions. Deuxièmement, l’esprit de commerce est compatible avec la frugalité tant qu’il n’est pas détruit par l’excès des richesses. Troisièmement, pour éviter cet excès, les lois doivent diviser les fortunes à mesure que le commerce les grossit en sorte que les pauvres puissent — et que les riches doivent, vivre de leur travail.
Alain Supiot a ouvert ensuite le grand chapitre de la démocratie face à la dynamique du capitalisme. Il a montré comment
« des deux côtés de l’Atlantique, les grandes sociétés de capitaux ont d’abord été perçues comme un danger pour la démocratie ».
De l’essor des grandes compagnies de commerce et de finance au XVIIe siècle aux débuts de la révolution industrielle, il a mis en avant que :
L’évolution du droit des sociétés commerciales est un bon témoin juridique de l’aversion démocratique première contre l’accumulation des richesses et de la façon dont elle finit par laisser place à son contraire.
Or ces « principes de frugalité et d’égalité des conditions économiques n’étaient pas favorables à l’essor du capitalisme moderne ». Un « changement de philosophie politique » a conduit à ne plus y voir « une condition de la démocratie. »
Entre-temps, les mutations de la révolution industrielle ont soulevé de nouveaux enjeux. Au début du XXe siècle, Louis Brandeis, juriste américain, théoricien de « la malédiction de la grandeur », note quant à lui que
« le véritable obstacle à une démocratie véritable se trouve dans la concentration du pouvoir économique entre les mains d’une oligarchie financière et industrielle. »
Mais avant d’évoquer la démocratie participative, les lois anti-trusts et les réformes du New deal, en 2e partie de cours, nous plongeons tout de suite aux début de la révolution industrielle.
L’extension du salariat y modifie l’organisation du travail et les termes du débat sur la liberté, tandis que l’idéal républicain du bien commun commence son délitement.
Alain Supiot avait cité Michael Sandels et le lent avènement d’une « république procédurale », qui se contente de viser à assurer « le vivre ensemble », la coexistence d’individus laissés libres de définir chacun ce qui est bien.
Et nous gagnons l’amphithéâtre du Collège de France, le 16 décembre 2016, pour le cours d’Alain Supiot.
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